Interview de Philippe AUGIER
MAIRE DE DEAUVILLE
par Bertrand Pulman
Dès l’origine, la dimension évènementielle fut centrale pour Philippe Augier, dans sa façon de concevoir et d’animer la vie municipale. Élu Maire de Deauville en 2001, il occupe depuis lors ce mandat électif sans discontinuité1. Comme il l’explique dans cette riche interview à L’Innovatoire, la conception et la promotion d’évènements de toutes natures se trouvent au cœur de sa politique. D’ailleurs, en 2008, il a été chargé par le Président de la République d’une mission visant à optimiser et à mieux exploiter les grands évènements internationaux. Il a remis sur ce sujet un rapport important intitulé “Pour une politique gagnante des grands évènements” le 23 juillet 20092.

Vous semblez attacher une importance particulière au déploiement d’une politique évènementielle dans votre ville. Pourriez-vous nous en indiquer la raison ?
En tant que station balnéaire, cette ville vivait trop largement des visiteurs et du tourisme estival. Les résidences secondaires elles-mêmes n’étaient pas occupées de façon régulière. Donc il était crucial de parvenir à une désaisonnalisation de l’activité touristique. Or, comment créer de l’attractivité tout au long de l’année ? Précisément en ponctuant l’ensemble de l’année par des évènements de toutes sortes. C’est ce que nous avons fait. L’évènementiel est ainsi devenu un des piliers de ma politique. Les évènements permettent d’attirer du monde. Vous induisez du développement économique et simultanément vous encouragez la vie sociale. Les gens découvrent le territoire et ont envie de revenir. Des personnalités importantes, des écrivains, des journalistes, des sportifs, des artistes, etc., viennent régulièrement. C’est très positif en termes d’image.
Quelle a été votre stratégie initiale en la matière ?
J’ai d’abord fait profiter la ville de mes relations dans la sphère politique. En 2003, nous avons reçu le G8 des ministres des Finances. En 2008, nous avons abrité une réunion des ministres de la Défense de l’Union Européenne. En 2010, s’est tenue une rencontre des chefs d’État français, allemand et russe. Et surtout, en 2011, la ville a été hôte du Sommet du G8, avec notamment Barak Obama, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, Dimitri Medvedev, etc.. Depuis, beaucoup d’autres réunions importantes ont eu lieu à Deauville. Mais ce sommet du G8 a constitué un véritable point d’orgue. Cela a été extraordinaire et spectaculaire. En outre, j’en ai tiré un enseignement général qui m’a été fort utile pour la suite. J’avais remarqué que lorsqu’un évènement se déroule dans une ville, la très grande majorité des commentaires porte alors sur le contenu de l’évènement, et non pas sur la cité concernée. J’ai inversé l’ordre des choses, grâce à une politique de communication en amont amorcée trois mois avant, autour du thème « Venez voir la ville où tel évènement va avoir lieu ». J’ai donc fait venir toute la presse étrangère basée à Paris. Ils m’ont tous fait des papiers avant même la manifestation. Il y a eu des articles dans le monde entier. Une page entière dans le Financial Times : « Deauville, Kingdom of elegance »3. J’ai retenu de cette expérience qu’en terme de notoriété, c’est ainsi qu’il faut décliner les évènements. Sinon les retombées ne sont pas énormes.

Vers quels autres secteurs vous êtes-vous tournés ensuite ?
Les deux domaines qui m’ont permis de multiplier les évènements récurrents ont été la culture et le sport. La culture a été mise à l’honneur avec la musique classique : ainsi, le Festival de Pâques, créé dès 1997, a été fortement développé4. Il en a été de même avec notre Festival Littéraire mis en place à partir de 20045. Puis est venu Planches Contact notre Festival de Photographie, initié en 2010, considérablement amplifié depuis6. Nous avons donc touché à toutes les disciplines, l’idée directrice étant toujours de favoriser la continuité. Les Festival sont de grands évènements, mais ils offrent aussi la possibilité de mettre en place une vraie saison culturelle. Finalement, l’incarnation de l’entièreté de notre politique culturelle a été la création de l’entité dénommée Les Franciscaines. Cet orphelinat construit en 1875, devenu ensuite un couvent, a été acquis par la ville en 2012. Un projet culturel ambitieux a alors fait l’objet d’un concours d’architecture et d’une rénovation exemplaire. Le site a été ouvert au public en 2021. Il abrite nombre d’évènements prestigieux. Tout le monde en parle et les gens se déplacent de loin pour voir ce lieu d’exception7.J’ajoute qu’en matière culturelle, j’ai toujours eu un souci, relevant presque du marketing, de trouver un concept unique. Si vous faites un Festival de musique classique, il en existe déjà plusieurs en France. Notre optique originale a été la révélation des jeunes talents émergents. Ensuite, notre Festival de littérature est venu se greffer dessus avec la création d’un prix « Livres et Musiques ».

Et le sport ?
Mon objectif a été de créer des évènements sportifs, mais aussi de faire venir des équipes s’entraîner. J’ai cofinancé de gros investissements, souvent avec l’aide du Conseil régional et du Conseil départemental, pour nous doter d’équipements permettant à la fois la pratique locale et l’exercice au plus haut niveau possible. Dès 2009, la Communauté de Communes Cœur Côte Fleurie s’est dotée d’une infrastructure exceptionnelle avec le Pôle OMni’Sports8. Très vite l’équipe féminine de basket est venue s’entraîner à Deauville : en 2012, les filles étaient finalistes contre les États-Unis aux Jeux olympiques de Londres. En football le PSG est venu s’entraîner sur nos terrains synthétiques, ainsi que des Clubs régionaux comme Caen ou Le Havre. Lors de l’Euro 2016, l’équipe de Croatie était chez nous. Et pour la Coupe du monde de foot féminine en 2019, sept équipes se sont entraînées ici. A l’occasion des JOP Paris 2024, 250 athlètes et membres du staff chinois ont passé le mois de juillet à Deauville. A chaque fois, cela a permis d’organiser des évènements localement.
En outre, en 2010, nous avions créé le Pôle International du Cheval qui s’est très vite imposé comme un acteur majeur du secteur9. Aujourd’hui nous avons 90 jours de concours par an. Nous avons amplifié le volume et la continuité des courses hippiques, notamment en participant au financement d’une piste en sable fibré ce qui permet d’avoir des compétitions l’hiver. Les ventes de chevaux, qui constituent mon métier originel, ont été considérablement développées. Tout cela attire une clientèle nombreuse et fortunée, ce qui génère beaucoup d’activité économique.

Quels sont les atouts de Deauville dans ce domaine ?
D’abord, il y a l’accessibilité. Que ce soit en voiture ou en train, nous sommes à deux heures de Paris. L’aéroport se trouve à dix minutes, avec une piste qui a permis d’accueillir Air Force One. Ensuite et surtout, Deauville est un petit territoire qui offre une remarquable unité de lieu. Lorsque vous êtes au Palais des Congrès, vous êtes à moins de 500 mètres de tout : de la gare, des hôtels, des Franciscaines, de la mer, du casino, des commerces. Pour les organisateurs d’évènements, comme pour les participants, cette unité de lieu et cette taille réduite constituent des atouts majeurs. A cela s’ajoute l’ensemble des équipements que nous avons créés et dont j’ai déjà parlé. Il faut aussi tenir compte du fait que le cadre de la ville, et notamment le front de mer, ont été préservés, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres stations balnéaires. Nous avons mis en place une zone de protection du patrimoine, et adopté un plan local d’urbanisme intercommunal, qui verrouillent les initiatives absurdes. Deauville et ses environs se présentent comme une ville verte. Vous arrivez d’un côté par les marais et vous repartez par des haras.

Quels sont les principaux obstacles auxquels vous vous êtes heurtés pour développer une politique évènementielle ?
Au début, l’image de la ville ne correspondait pas à la politique culturelle que j’entendais mener. Vous aviez le concert du samedi soir, le théâtre de boulevard et des chanteurs de variétés tournant tout l’été. Il faut du temps pour modifier ce type de représentation. Aujourd’hui, avec des lieux comme Les Franciscaines, l’image est très positive. D’autre part, il y eut des obstacles politiques, car à un certain moment le Conseil régional était d’une autre tendance et a rechigné à subventionner la création des nouveaux équipements requis. Heureusement, cette période fait partie du passé. Et cela a eu l’avantage de nous encourager à trouver des mécènes.

Parmi les évènements que vous avez impulsés quels sont ceux qui vous tiennent le plus à cœur ?
Le G8 a été évidemment un évènement hors du commun. En termes d’expérience, j’ai appris énormément de choses. Et la notoriété que cela nous a apportée est phénoménale. A titre personnel, un de mes plus beaux souvenirs réside dans mon premier Festival de Pâques de musique. Tous ces jeunes artistes devenus célèbres sont restés extrêmement attachés à la ville. Pour le 20ème anniversaire du Festival, le violoniste et chef d’orchestre Renaud Capuçon est revenu exprès d’Asie pour un récital. Et nous fêterons le 30e anniversaire en avril 2026 avec beaucoup de ces talents qui ont émergé à Deauville. D’une façon générale, j’attache beaucoup d’importance à ce que nos évènements soient orientés vers la jeunesse. C’est le cas par exemple avec le Prix des Ados. Créé en 2009, il s’agit d’une initiative conjointe des Espaces Culturels E. Leclerc de Normandie et du Festival Livres & Musiques. Le comité de lecture sélectionne des ouvrages dont le fil conducteur est la musique. Les classes de 3ème et de 2nde s’inscrivent et reçoivent un lot de livres offerts par les Espaces Culturels Leclerc. Pendant l’année scolaire, les élèves explorent les univers multiples des livres, réalisent des projets écrits, vidéo, musicaux, plastiques, etc., puis votent pour leur livre préféré. Le Prix est remis devant 3000 élèves lors d’une cérémonie qui se déroule dans l’auditorium du Centre International de Deauville.
Pouvez-vous nous dire un mot concernant le Deauville Sport Doc Festival dont la formule semble hautement originale ?
Mon idée, c’est que Deauville devienne la ville où on présente les images du sport, que ce soit des documentaires ou des photos. Le sport véhicule des valeurs qui sont centrales d’un point de vue sociétal. En 2024, nous avons commencé en créant le Deauville Doc Sport Festival10. L’équivalent n’existait nulle part au monde. Il y avait des documentaires sportifs dans des manifestations générales, mais pas de festival documentaire uniquement sportif. Le succès a été énorme, tout le monde est venu : les créateurs, les réalisateurs, les chaînes de télévision, les plateformes. Un marché propre à ce domaine s’est créé autour de notre évènement. Et sur le fond, j’ai vu des documentaires notamment sur le paralympique incroyablement émouvants. D’ailleurs, j’ai fait en sorte qu’ils soient projetés dans nos écoles, car il s’agit d’un excellent support de citoyenneté. Et cette année nous créons un Festival consacré à la photo de sport11. De grands partenaires médias comme L’Équipe, Match, AFP Sport ou Sports Illustrated, se sont associés à nous.
Quels sont vos principaux projets pour l’avenir ?
Il faut d’abord consolider ce qui existe, car vous n’êtes pas sans savoir que les collectivités territoriales sont de moins en moins aidées. Mais cela ne nous empêche pas d’avoir des projets. Il y a deux directions auxquelles je pense car ce sont de puissants vecteurs de transformation du monde, d’une part, le digital et l’intelligence artificielle, et, d’autre part, la transition écologique. Ce sont des sujets que nous devons traiter et à propos desquels il va falloir s’exprimer. Il y a aussi une manifestation s’appelant le Collège des Mondes Possibles, que j’ai dû arrêter avec la crise Covid, mais que je souhaitais relancer. Elle réunit pendant deux ou trois jours des experts de toutes sortes autour d’un sujet fondamental pour l’avenir du monde, que l’on traite sur le temps long, et non dans l’immédiateté médiatique, par exemple les migrations qui a été le thème du 1er colloque et pour lequel nous poursuivrons notre analyse les 6 et 7 juin prochains. Vous voyez que les perspectives enrichissantes ne manquent pas.
- Dès 1995, il était devenu Maire-adjoint de Deauville chargé du tourisme, de la culture, de la communication et du Front de mer. ↩︎
- Cf. www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/094000461.pdf ↩︎
- Cf. www.ft.com/content/829cf8aa-7766-11e0-824c-00144feabdc0 ↩︎
- Cf. www.musiqueadeauville.com ↩︎
- Cf. www.festivallitterairedeauville.fr ↩︎
- Cf. www.planchescontact.fr ↩︎
- Cf. www.lesfranciscaines.fr. ↩︎
- www.indeauville.fr/loisirs/pole-omnisports-poms ↩︎
- www.pole-international-cheval.com/ ↩︎
- www.sportdocfestival.com/ ↩︎
- www.indeauville.fr/deauville-photo-sport-festival ↩︎