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Mettre à profit la crise pour construire l’événement de demain

Caroline Durand Gasselin

Caroline Durand Gasselin

Senior Consultant chez Herry Conseil

Sommaire

L’enjeu du 21ème siècle est de laisser aux prochaines générations un monde dans lequel il fera bon vivre, plus résilient et protecteur contre les crises sanitaires et environnementales. Pour cela, nous savons qu’une transformation de nos modes de vie, de production et de consommation est nécessaire. Nous savons aussi que cette transformation ne pourra se faire que si l’on rassemble autour d’un projet collectif attrayant, enthousiasmant, désirable et porteur de sens.

En parallèle, la crise du COVID que nous traversons frappe fort la société, et a fortiori le monde de l’événement. Et il est probable que cette crise durera encore de longs mois, voire années, et soit suivie d’autres crises en chaîne.

Ce double contexte nous donne à la fois l’opportunité et l’obligation d’une réflexion profonde. Pour les organisations du secteur de l’événementiel, comment éviter le confinement mental, l’étouffement, et trouver les clés pour survivre et rebondir à court terme ? Comment mettre 2020 et 2021 à profit pour préparer l’avenir ?

Première opportunité : se recentrer sur l’essentiel

Le temps disponible permet aux organisations de prendre du recul et de travailler à la formulation de leurs valeurs et des principes qui guident leur action. Cette réflexion constitue souvent la première étape de toute démarche RSE, qui ne débouche sur des actions probantes que si elle prend racine dans les valeurs profondes de l’organisation.

L’étape suivante pour l’organisation consisterait à définir sa raison d’être, sa mission : à quoi servons-nous ? A quoi nous engageons-nous ? Quelle valeur créons-nous, pour nos employés, notre écosystème et la société au sens large ? Les outils de la loi Pacte fournissent un cadre utilisable pour cette réflexion, et une opportunité de la valoriser auprès de ses clients.

Sur cette base, les organisations peuvent ensuite définir ce qui est souhaitable, désirable, acceptable, et chercher à se recentrer sur l’essentiel, mouvement nécessaire dans un contexte de ressources restreintes.

Qu’est-ce qui est essentiel dans un événement, c’est-à-dire, comment le rendre vraiment utile ? C’est la réflexion proposée par LDR dans son Manifeste de l’événement utile, et c’est le sens de l’étude menée par Le Pôle sur l’utilité sociale des festivals. C’est aussi depuis de nombreuses années l’objet des travaux de la commission RSE de UNIMEV.

Être utile, pour un événement en 2021, signifie générer du bien-être, du vivre-ensemble et des expériences collectives, créer de la valeur pour son écosystème, et s’engager pour des modèles durables, qui remettent en cause les logiques de consommation.

S’engager dans une démarche RSE permet de concrétiser ces dimensions : actions de lutte contre le gaspillage (planifier les justes quantités de nourriture et de matériaux de décoration), intégration des logiques d’économie circulaire (louer, réutiliser le mobilier), de solidarité (inclure des profils différents dans son staff, rendre accessible l’événement à tous), voire de sobriété (élimination des moquettes sur tous les sols et du coton gratté sur tous les murs, réduction drastique de l’offre de restauration carnée, limitation du nombre d’écrans géants, fin des véhicules privés pour le transport de invités)….

Cette dernière notion de sobriété est au cœur du nouveau modèle de Jeux Olympiques voulu par Paris 2024, qui vise notamment la neutralité carbone de l’événement. L’annonce des derniers arbitrages budgétaires a validé cette ambition : recentrage autour des sites clés, priorisation de la Seine Saint-Denis pour le développement d’infrastructures qui seront laissées en héritage, abandon de services non-essentiels. Le projet des Jeux se révèle au cours de l’année 2020 extrêmement compatible, avant l’heure, avec les exigences de notre société frappée par le COVID.

Deuxième opportunité :  imaginer des formes d’événements plus diverses

Avec les incertitudes qui pèsent sur la capacité de réunir des personnes dans le futur, faut-il s’affranchir des contraintes d’unité de temps et de lieu, et penser l’événement comme un moment de création de contenus et d’idées qui alimentera ses participants sur un temps long ? Ainsi l’événement deviendrait plutôt une série de séquences liées entre elles, plus courtes et digitalisées, ou plus petites et multi-lieux, et créatrices de communautés sur le long-terme.

Sur la question de la digitalisation des événements, ou de l’hybridation, la question est de savoir reconstruire l’expérience de la rencontre.

Or on sait que l’exercice a ses limites : par exemple, il n’est pas possible de se regarder dans les yeux et il est difficile d’avoir des temps d’échanges spontanés ou informels. Pourtant, de nombreux acteurs du secteur ont inventé des solutions avec succès : l’Inspi Studio de Inspirience propose une nouvelle plateforme événementielle à ses clients, le Printemps de Bourges a pensé un Printemps Imaginaire et des cycles de conférences en ligne, le Paris Peace Forum s’est tenu entièrement en ligne en proposant de nombreuses fonctionnalités d’interactions à ses prestigieux participants.

Ces événements permettent d’explorer de nouvelles opportunités. Leur bilan carbone se trouve forcément réduit, par la réduction massive des besoins en transport (voir par exemple le bilan carbone comparé du Sommet Virtuel du Climat), et malgré le recours intensif aux services numériques. L’expérience digitale peut sous certaines conditions être plus inclusive que l’expérience physique, avec un nombre de participants plus importants, issus de territoires plus lointains. Les interactions peuvent aussi être plus riches et le format de l’événement moins descendant grâce à un recours bien pensé aux outils d’interactivité comme les votes, les quizz, les brainstorm collectifs etc. et permettre des retours de participants en direct. Le contenu de l’événement peut également s’adapter plus finement aux besoins de chacun, chaque participant pouvant prévoir un programme sur-mesure avec moins de contraintes d’espace et de temps

Bien entendu, la digitalisation des événements doit s’accompagner d’une réflexion éclairée sur la sobriété, comme définie par The Shift Project, dans un contexte où l’empreinte environnementale et sociale du numérique s’accroît de façon exponentielle. Les applications utilisées doivent intégrer des fonctionnalités utiles, être bien pensées, c’est-à-dire éco-conçues et efficaces, et ne pas nécessiter d’équipements ultra-récents (smartphones, ordinateurs, tablettes). C’est le concept de low-tech, qui ne doit pas être vu comme complètement incompatible avec le modèle d’événement digital. Un exemple : recourir au format audio au lieu du format vidéo, moins consommateur en données. C’est ce qu’a fait le Centre des Monuments Nationaux en développant des formations sonores pour ses collaborateurs.

Troisième opportunité : utiliser la force du collectif au service de son modèle économique.

Pour résister à la crise, les sites de concert d’Angers se sont pensés en réseau de structures complémentaires. Les organisations du secteur de l’événement de demain doivent-elles se penser en complémentarité plutôt qu’en concurrence, se spécialiser et travailler ensemble pour augmenter leur résilience ?

Le modèle du collectif a également permis à de nombreux festivals de s’organiser et de se développer, grâce à la mutualisation de leurs ressources, par exemple pour la formation. Le modèle de la coopérative rassemblant des structures indépendantes a aussi fait ses preuves, augmentant la résilience de l’ensemble du groupe grâce à la diversité des activités concernées et à la solidarité entre ses membres.

Sur une dimension plus verticale, le temps disponible pendant la crise COVID permet aussi aux organisations qui le souhaitent de repenser leurs partenariats, aux deux extrémités de leur chaîne de valeur, pour les mettre en cohérence avec leur mission et leurs valeurs nouvellement formulées, et leurs nouveaux besoins.

La structuration d’une démarche d’achats responsables, autour de partenariats créateurs de valeurs et de sens, de progression mutuelle, et tournée vers les acteurs de l’économie sociale et solidaire, de l’économie circulaire et des entreprises engagées pour l’éco-responsabilité, permet d’assurer un cadre pour acheter des produits et services responsables, durables, locaux…éviter le gaspillage et optimiser ses coûts.

A l’autre bout de la chaîne de valeur, la réflexion à 360 degrés présentée dans cet article permet d’engager un dialogue positif avec ses clients, pour les embarquer dans une logique de transformation vertueuse.

Demain s’écrit aujourd’hui, l’événement a sa carte à jouer comme acteur de la création d’un nouveau modèle de société. Il faut faire confiance aux acteurs de l’événement pour sortir des sentiers battus, et porter l’innovation sur ces sujets.

Une démarche RSE sincère, pensée sur le temps long permet d’entamer ce changement de culture, par l’humain, en donnant à chacun les moyens de faire le lien entre ses aspirations pour le monde de demain, et son activité quotidienne. Et l’apport d’autres domaines insoupçonnés comme la psychologie, la sociologie, l’ethnologie pourrait contribuer à alimenter cette réflexion sur l’événement de demain.

Sources :

https://drive.google.com/file/d/1f5XVvRR1iI3EA9xdB1OYvhBwx_8Bxaz0/view
https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000374632/PDF/374632fre.pdf.multi
https://www.paris2024.org/fr/heritage-ambition-environnementale/
https://www.la-croix.com/Archives/2015-06-24/Jeux-olympiques-le-defi-de-la-sobriete-2015-06-24-1327695
https://www.liberation.fr/terre/2020/05/28/bihouix-le-low-tech-est-generateur-d-emplois-locaux-de-resilience-de-lien-social_1789344
https://lepetitjournal.com/singapour/chabevents-imaginons-levenementiel-de-demain-280380
https://www.culturematin.com/production/diffusion-booking/la-cooperative-nous-a-rendus-plus-agiles-o-jacquet-grand-bonheur.html?nl=116090&utm_source=email&utm_id=197014&utm_campaign=newsletter-2020-10-29
https://www.culturematin.com/production/lieux-residences-locaux-repetition/un-autre-point-ephemere-pourrait-ressortir-de-tout-ca-f-magal-point-ephemere.html?nl=116090&utm_source=email&utm_id=197423&utm_campaign=newsletter-2020-10-29
https://www.evenement.com/guides-professionnels/reussir-evenement/quel-cout-prevoir-pour-un-evenement-virtuel/?_ope=eyJndWlkIjoiNWE2MTU5N2JjODkxNDZjZjBjMzA3NzMxYmYyM2RkZTQifQ%3D%3D
https://www.culturelink.fr/actualites/robin-renucci-nos-theatres-doivent-pouvoir-rester-vivants?utm_source=mailing_culturelink&utm_medium=newsletter&utm_campaign=newsletter-2020/11/05&utm_content=titre
https://www.thegood.fr/sophie-vannier-co-directrice-de-la-ruche-limpact-nest-pas-un-concept-mais-le-bon-sens-dans-un-monde-qui-ne-tourne-plus-rond/
https://www.leni.fr/Data/ElFinder/s22/livre-bl/ebook-hybridation-virtualisation-leni-2020-HD.pdf?_e=138134&_l=1287

À propos de l'auteur

Caroline Durand Gasselin

Caroline Durand Gasselin

Senior Consultant chez Herry Conseil

Caroline Durand-Gasselin est consultante au sein du cabinet Herry Conseil, qui accompagne les organisations et acteurs de l’événement vers des modèles plus durables, écologiques et solidaires. Formée à Sciences Po en Politiques de l’Environnement, et certifiée à la conduite du changement vers la RSE par l’Université de Cambridge, Caroline a précédemment défini et mis en œuvre la stratégie RSE du World Economic Forum et contribué à la stratégie de développement durable de l’UEFA EURO 2016. Elle accompagne aujourd’hui des acteurs de l’événement sportif et professionnel.

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