Entretien avec Michaël Boumendil, fondateur et président de Sixième Son
Tout le monde a en tête les quatre notes du jingle reconnaissable entre tous qui évoque inexorablement pour chaque auditeur l’univers de la SNCF1. Des enquêtes récurrentes menées par Toluna Harris Interactive indiquent qu’il bénéficie auprès du public d’un taux d’attribution exceptionnel. Une immense majorité des clients SNCF reconnaissent cette identité sonore et y sont attachés. Belle, originale, frappante, cette sonorité est devenue mythique2.
A l’origine de cette prouesse à la fois musicale et communicationnelle, il y a un homme, Michaël Boumendil, dont on pourra lire ici la passionnante interview, qui explique comment l’identité sonore et le design musical peuvent se mettre au service de l’évènementiel. Il est le premier à avoir déployé le pouvoir du son en tant que puissant levier de communication au service des marques. La structure qu’il a créée – l’agence Sixième Son3 – est aujourd’hui le leader mondial de l’identité sonore et du design musical. Chaque jour, plus d’un milliard de personnes réparties sur toute la planète écoutent et sont imprégnés par les sonorités créées par Sixième Son.
Diplômé de l’EDHEC avec une spécialisation marketing et communication, Michaël Boumendil a acquis dès l’âge de 19 ans, la forte conviction que les marques auraient intérêt à penser différemment leur rapport à la musique. Il lui semblait paradoxal que, dans un monde en train de devenir de plus en plus musical et sonore, les marques n’utilisent pas mieux dans leur communication cet outil émotionnel incroyable qu’est la musique. Il fallait seulement les aider à créer leurs expressions musicales propres, leurs « identités sonores » qui auraient autant de sens et d’impact que leur identité graphique. En 1995, il crée l’agence Sixième Son spécialisée dans l’identité sonore et le design musical. La vocation de cette structure est de doter les marques d’une identité musicale en complément de leur identité visuelle. Un métier à distinguer du design sonore, discipline davantage centrée sur l’ingénierie sonore et industrielle, alors que l’approche développée par Michaël Boumendil relève davantage d’un design de communication. La visée est de créer un territoire musical abouti et un système complet pour chaque marque. Ainsi des applications peuvent être développée pour tous les endroits où la marque entre en communication avec ses audiences. Ceci permet de construire une véritable charte sonore, facteur de cohérence et de performance sur le long terme (TV, Radio, téléphonie, évènementiel, digital).
A l’époque, des agences de publicité et de communication affichent leur scepticisme. Cependant, très vite des marques se manifestent car elles voient dans cette nouvelle opportunité un outil innovant, efficace et valorisant. C’est avec Alstom, multinationale française spécialisée dans le secteur du transport, que Sixième Son prend son envol. Mais surtout, quelques années plus tard, le géant coréen Samsung confie à l’agence toute sa stratégie sonore à l’international y compris l’identité sonore de l’ensemble des téléphones mobiles. Cette création deviendra iconique. Michaël Boumendil en résumait ainsi la philosophie : « Pour ce client, j’ai proposé une chose simple : passer d’une marque bavarde à une marque minimaliste avec le silence comme pivot. Dans cette identité sonore, les sons se détachent avec un tempo maîtrisé pour exprimer le luxe appliqué à la téléphonie. Avec Samsung, je fais du silence une présence » La renommée de Sixième Son prend son essor dans le monde des marques. Les plus grandes confient leur communication sonore à cette agence (Renault, Axa, Coca Cola, Krug, Vueling, Petit Bateau, Carrefour, Michelin, La Roche Posay, RATP, Aéroports de Paris, Maybelline, etc.). Les succès, trophées et récompenses s’accumulent4.
Le secret de ces réussites innombrables réside dans une fidélité inébranlable aux intuitions initiales sur les pouvoirs du son et de la musique, et surtout dans un amour profond des marques. Celui-ci s’incarne dans un travail d’écoute incessant et en profondeur de leurs besoins5. L’objectif est toujours de parvenir à créer pour chaque client un territoire sonore sur-mesure, singulier et légitime, afin de décupler sa puissance de marque. Cette méthodologie permet de doter les clients d’un langage musical qui leur ressemble, qui est cohérent avec le message qu’elle souhaite porter auprès des divers publics, et qui leur donne véritablement un avantage concurrentiel.
Ces dernières année Sixième Son a fait le pari réussi du développement international. En 2017, Michaël Boumendil s’est implanté aux États-Unis avec l’ouverture d’un bureau à New York, afin de développer le marché américain. De nombreux succès, récompensés par de multiples Awards, se sont multiplié partout dans le monde (Canada, Australie, Proche et Moyen Orient, Espagne, Angleterre, Singapour, etc.). L’agence Sixième Son est aujourd’hui le leader mondial reconnu par tous de la création d’identités sonores pour les marques. Depuis l’origine, l’agence a accompagné plus de 500 marques, de toutes tailles et de tous secteurs d’activité. La filière évènementielle a déjà partiellement bénéficié de cette approche, avec des réalisations saluées par tout le monde, telle l’identité sonore de Roland-Garros6, ou plus récemment celle de la Coupe du monde de rugby7. De ces aventure, Michaël Boumendil a tiré de précieux enseignements qu’il nous fait partager ici.
L’Innovatoire : Vous travaillez de plus en plus dans le monde de l’événement et votre approche semble avoir permis une rupture assez conséquente dans l’habillage et l’identité des événements. Pour commencer, pouvez-vous nous dire pourquoi la musique est essentielle lors des événements ?
Michael Boumendil : La musique joue un rôle crucial dans les événements car elle a la capacité de créer une atmosphère unique et d’amplifier les émotions de façon spectaculaire. Elle peut transformer une simple rencontre en une expérience mémorable, marquer des moments clés, et même influencer le comportement des participants. La musique agit sur le plan fonctionnel et émotionnel, et c’est cette connexion qui la rend si puissante dans le contexte des événements. Ce constat générique, nous sommes nombreux à le faire depuis longtemps. Néanmoins, il importe d’aller encore au-delà si l’on veut tirer le meilleur parti de la musique, renforcer la marque de l’événement et enrichir significativement l’expérience de ceux qui y assistent.
L’Innovatoire : Quelle est cette rupture que vous avez voulu apporter et qui semble avoir changé la face de la musique événementielle ?
MB : La course à l’émotion a ses limites. Penser la musique uniquement sous cet angle c’est souvent, soit s’engager dans une surenchère stérile, soit se conformer à des clichés musicaux et émotionnels dont personne ne sort gagnant. Dans un monde concurrentiel au sein duquel nous sommes tous soumis à des quantités phénoménales de signes, il m’a semblait que la bonne approche consistait à chercher en premier lieu à exprimer sa différence et à créer de l’intérêt. Il n’y a rien de plus légitime que de vouloir exprimer qui l’on est. Toute l’expertise de Sixieme Son et la rupture que nous apportons viennent de notre volonté de nous inscrire dans une réflexion identitaire. Outre qu’elle est plus légitime, elle est surtout plus durable et permet de donner du sens à la différence. Pour faire court, plutôt que de bâtir une démarche esthétique, Sixieme Son construit une démarche expérientielle plus singulière pour contribuer à ce que la marque soit plus iconique. C’est à la fois plus marquant et plus intéressant.
L’Innovatoire : Et quel est le résultat que vous en tirez ?
MB : Une démarche musicale plus identitaire dans la musique d’un événement permet deux choses fondamentales. Elle permet de créer du lien et d’amplifier les émotions en rattachant cette empreinte à la marque. En échappant aux clichés du genre, on bâtit le patrimoine musical de la marque tout en enrichissant tant l’expérience que le souvenir qu’en garderont ceux qui y participent. C’est aussi ça la magie de musique : des souvenirs impérissables. L’autre avantage important c’est de permettre à la marque d’aller au-delà de l’événement même et d’en faire bénéficier sa communication avant et après l’événement, de façon performante. Le résultat, c’est une marque-événement qui voit grandir sa notoriété, amplifier l’attribution à sa marque, gagner en clarté, susciter plus d’attention d’engagement, et finalement de préférence. En fin de comptes, c’est de faire entrer un besoin tactique dans une approche stratégique et performante.
L’Innovatoire : Pouvez-vous nous donner quelques exemples de la manière dont la musique peut être utilisée pour créer cette différence lors d’un événement ?
MB : Prenons par exemple Roland-Garros, un événement fabuleux, une marque exceptionnelle qui rassemble des centaines de milliers de spectateurs à Paris et des millions de téléspectateurs. Ce que nous avons bâti, n’est pas simplement un dispositif d’habillage de l’événement : nous avons donné un pan sonore à l’icône sportive que cette marque représente. Cette musique très unique bâtit de l’excitation et du souvenir, elle maintient l’attention du public au-delà des stades. Elle réserve des surprises et des raisons d’aimer la marque à tous ses publics : les spectateurs, les téléspectateurs, les médias et les internautes. La musique d’entrée des joueurs est spécifique, mais s’inscrit dans l’identité sonore de la marque. Idem pour la musique de remise des trophées. Same but different. Finalement, comme il existe une charte graphique qui va de la signalétique à l’habillage des films, qui évolue avec créativité mais cohérence, il existe une charte sonore qui fait aimer la marque et qui la fait languir en attendant la prochaine édition. Pour réussir, il faut avoir l’obsession de la différence et de l’intérêt.
L’Innovatoire : Quelles sont les erreurs courantes que vous voyez en matière de musique dans les événements, et comment peuvent-elles être évitées ?
MB : Une erreur courante est de négliger l’importance de la cohérence entre la musique et l’identité de l’événement. Par exemple, utiliser une musique connue c’est avoir une courte vue et se condamner à une perte de chance. Tomber dans les clichés ou jouer contre la marque, c’est créer une dissonance qui détruit de la valeur. Une autre erreur est de ne pas penser à l’expérience globale des participants, c’est à dire ne pas identifier et analyser tous les pans du parcours clients sous l’angle sonore, c’est prendre le risque de la surenchère ou du « trou sonore ».
L’Innovatoire : En parlant d’identité sonore, pouvez-vous nous expliquer ce concept et son importance pour les événements ?
MB : L’identité sonore, ce n’est pas que la signature musicale d’une marque ou d’un événement. C’est au contraire un territoire musical complet, composé de sons et de musiques spécifiques qui représentent les valeurs et l’essence de la marque. Pour un événement, cela peut signifier la création d’un thème musical unique qui sera associé à cet événement particulier mais que l’on va décliner de façon spécifique en fonction des circonstances de diffusion et des enjeux de l’expérience. C’est l’incarnation musicale de la marque mis au service de l’expérience de marque.
L’Innovatoire : Cette utilisation de l’identité sonore peut-elle concerner toutes les parties prenantes de l’évènement, comme les exposants dans des manifestations du type salon ?
MB : Sans aucun doute. Je vais vous en donner un exemple probant, à savoir celui d’une bulle immersive que nous avons créé il y a quelques années pour le stand Renault lors d’un Mondial de l’Auto. Chacun sait le succès avec lequel, depuis 2009, le designer hollandais Laurens van den Acker a pris en charge le style graphique du groupe Renault : grâce à son travail, les lignes des véhicules, les couleurs, le logo, etc., sont fortement identifiables. Parallèlement, en faisant appel à l’expertise de l’agence Sixième Son, la marque s’est dotée d’une identité sonore, déclinée de façon homogène dans les publicités, les évènements, la téléphonie, ce qui lui permet de disposer d’une personnalité musicale à la fois inventive et bien mémorisée. Or, en 2015, Renault a fait évoluer sa plateforme de marque en l’articulant autour de sa nouvelle signature : Passion for Life. Dès lors, il fallait incarner cette passion de la vie, dans les salons auxquels le groupe participe, et d’abord à Paris. Le groupe souhaitait une traduction à travers la lumière et le son, quelque chose d’assez enveloppant. Sur le plan visuel, Renault a déployé son stand autour d’un écran immense (60 mètres de long !), permettant de projeter des contenus marquants, avec des couleurs passionnelles et un éclairage changeant régulièrement. Le chalenge pour les équipes de Sixième Son, consistait à accompagner cette transformation sur le plan sonore, un défi à la fois esthétique et technique car l’environnement dans un tel salon est rempli de sollicitations perturbatrices. L’agence a créé une bulle musicale particulièrement immersive, à la fois dynamique et apaisante. L’originalité du dispositif a reposé sur le fait d’utiliser des enceintes ultra-directionnelles accrochées en hauteur, pour personnaliser l’expérience sonore de chaque visiteur. Celui-ci se promenait sur le stand, au milieu des véhicules, dans un univers musical englobant, mais tout d’un coup, selon l’endroit où il se trouvait, il entendait une sonorité qui lui parlait spécifiquement. Des effets de rebond acoustique donnaient l’impression que le son émanait de la partie de la voiture qu’il frôlait (ronronnement du moteur, portière se fermant). Ceci a contribué à différencier le stand Renault, d’autres espaces qui pouvaient être très beaux mais n’avaient pas une telle qualité d’entour sonore. On voit donc comment une démarche attentive à l’identité sonore peut concerner tous les acteurs et parties prenantes d’un évènement.
L’Innovatoire : Comment travaillez-vous avec vos clients pour créer cette identité sonore ?
MB : Notre processus commence toujours par une profonde compréhension de la marque ou de l’événement. Nous discutons avec nos clients pour comprendre leurs objectifs, leur public cible, et les messages qu’ils souhaitent véhiculer. Nous avons des yeux – et des oreilles – particulièrement attentifs à la communication de leurs confrères et néanmoins concurrents. Ensuite, nous élaborons des concepts sonores qui reflètent ces éléments. Nous collaborons étroitement avec eux à chaque étape, de la composition à l’implémentation, en passant par les ajustements en fonction des retours. Nous complétons cette approche par une démarche assez unique d’évaluation des perceptions, le but étant de créer une identité sonore puissante, juste, émergeante et engageante qui résonne avec le public.
L’Innovatoire : À votre avis, quelles tendances émergent dans l’utilisation de la musique pour les événements ?
MB : Une tendance notable est l’utilisation de la technologie immersive, comme la réalité virtuelle et augmentée, pour créer des expériences musicales interactives. Les participants peuvent être plongés dans des environnements sonores dynamiques et changeants. Une autre tendance est l’intégration de la musique live, qui ajoute une dimension humaine et spontanée aux événements. Enfin, la personnalisation de la musique pour chaque participant, grâce à l’intelligence artificielle, permet de créer des expériences uniques et souvent très mémorables.
L’Innovatoire : Quels conseils donneriez-vous aux organisateurs d’événements qui souhaitent optimiser l’impact de la musique ?
MB : Je n’en prodiguerai qu’un, d’où d’autres, plus nombreux, pourraient découler. Pour réussir la musique d’un événement, il ne faut pas penser musique en premier lieu. Il faut penser marque et expérience de marque. Cela évite de tomber dans ce piège qui peut consister à se faire plaisir, consciemment ou inconsciemment, au détriment des intérêts de la marque et de ceux à qui elle s’adresse.
L’Innovatoire : Pour conclure, en complément par rapports aux livres que vous avez publié, qu’aimeriez-vous dire aux lecteurs sur l’importance nouvelle de la musique dans nos vies ?
MB : La musique est un langage universel qui transcende les mots et les cultures. A l’heure où tant de mots sont galvaudées, où la lecture devient un fardeau pour les nouvelles générations, où la crédibilité des images s’effondrent sous la pression de l’intelligence artificielle, la musique s’offre comme le langage le plus puissant pour créer un lien spécifique, durable et fiable. Savoir l’utiliser est devenu essentiel.
- Cf. https://www.youtube.com/watch?v=NA5MwhuHWLo et https://www.youtube.com/watch?v=C1UOIHsT8Ds ↩︎
- Au point d’avoir inspiré une chanson à David Gilmour, guitariste et chanteur du groupe Pink Floyd : Cf. https://www.youtube.com/watch?v=DNGFP-5OvnnU ↩︎
- Cf. https://www.sixiemeson.com/fr/ ↩︎
- Cf. https://www.strategies.fr/creations/campagnes/1062410/sixieme-son-pour-renault.html https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/comment-sixieme-son-accompagne-de-ses-jingles-les-departs-en-vacances-2106183 ↩︎
- Michaël Boumendil en a révélé et théorisé les principes dans deux livres : Design musical et stratégie de marque, 2017, Eyrolles, préface de Maurice Lévy, postface de Jean-Michel Jarre ; Le siècle du son, 2023, Eyrolles Nouveaux Débats Publics. ↩︎
- Cf. https://www.sportstrategies.com/sixieme-son-cree-lidentite-sonore-de-roland-garros/ – https://www.programme-tv.net/news/sport/207588-roland-garros-2018-qui-cree-les-musiques-diffusees-pendant-le-tournoi/ ↩︎
- Cf. https://www.sportbuzzbusiness.fr/lagence-sixieme-son-signe-lidentite-sonore-de-la-coupe-du-monde-de-rugby-france-2023.html – https://www.radioclassique.fr/classique/insolite/coupe-du-monde-de-rugby-lhomme-derriere-lunivers-musical-de-levenement-est-le-compositeur-francais-le-plus-entendu-au-monde/ ↩︎