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Salon et Netflix : le danger des sentiers battus

Laetitia Pelletier

Laetitia Pelletier

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Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, le marché du streaming vidéo offre un tableau édifiant sur les réflexions stratégiques qu’un acteur leader sur son secteur peut et se doit d’entreprendre afin de ne pas se laisser devancer par d’autres initiatives rivales. L’adage “on ne change pas une équipe qui gagne” n’a jamais semblé aussi obsolète. Quels enseignements peut-on tirer du cas Netflix pour tout salon qui, s’étant érigé en pilote crucial pour sa filière, souhaiterait le demeurer ?

L’impératif de l’innovation

À compter de Janvier 2020, les usagers de Netflix US auront à déplorer une perte de taille : la série culte Friends sortira du catalogue de la plateforme de streaming vidéo, à la demande de la chaîne de production HBO. Dans le même élan, Netflix se verra privé du catalogue Disney ; le géant américain du divertissement lance lui aussi sa plateforme de vidéo à la demande. Netflix se voit ainsi concurrencé par un afflux de nouveaux entrants (HBO Max, Disney+, Britbox…) sur son cœur de métier.

Ils sont nombreux, voire majoritaires, les spectateurs qui, désireux d’échapper au rythme effréné de leur quotidien, s’adonnent à des marathons de séries et films sans surprise puisqu’ils les connaissent sur le bout des doigts. Or les offres se multiplient sans que les moyens financiers des usagers n’augmentent de manière suffisamment significative pour qu’ils puissent cumuler les abonnements. Comment être la plateforme sur laquelle le consommateur jettera son dévolu ? Netflix peut-il se contenter d’être ce qu’il a fait de mieux jusqu’à présent: une plateforme fluide et sans couture pour ces usagers friands de binge-watching ? La question se pose tout aussi bien pour la filière des salons : les événements peuvent-ils exclusivement se reposer sur leur cœur de métier qui est l’organisation de la rencontre physique d’acteurs d’une communauté, laissant à ces derniers le loisir entier de décider du contenu et de la forme de l’événement ?

L’effet “Mathieu”, théorisé par le sociologue Robert K. Merton, voudrait que l’acteur historique sur le marché – en l’occurrence Netflix ou tout salon leader sur son secteur, et couronné de succès – perpétue sa dominance en capitalisant sur ses acquis. Dès lors, quel serait l’intérêt, pour cet acteur, d’adopter une nouvelle stratégie ? Or tout porte à croire que nous nous situons à une époque charnière où l’un (Netflix) comme les autres (les salons) doivent engrener une réflexion stratégique de fond pour éviter de se faire cannibaliser par de nouveaux entrants aux propositions et contenus potentiellement plus innovants et intéressants. La typologie de ces nouveaux entrants n’est pas anodine : Netflix est aujourd’hui concurrencé autant par des chaînes de production “traditionnelles” comme HBO ou BBC que par des concepteurs électroniques (Apple), en passant par Disney, véritable colosse du divertissement. Toute la chaîne de valeur est concernée et les salons n’y échappent pas : ils risquent à tout moment de perdre la direction de leur communauté au profit de leurs propres prestataires ou clients qui auront su mieux cerner les attentes de cette communauté et les enjeux qui l’entourent. C’est le cas du Salon de l’Auto qui, n’ayant su anticiper le déclin du marché de la voiture en milieu urbain se voit aujourd’hui concurrencé par des événements novateurs, plus structurants, et davantage tournés vers le futur de la mobilité, comme le salon Autonomy.

La réflexion stratégique comme moteur de la revitalisation

La réponse de Netflix ne s’est, quant à elle, pas faite attendre : bousculée sur son marché originel (les États-Unis) la plateforme cherche à renforcer ses socles à l’international, à coups de personnalisation et de diversification de ses offres. En France elle s’est ainsi associée à Canal+ pour proposer des contenus plus ciblés et adaptés à son audience francophone. En Asie, et notamment en Inde et en Malaisie, elle propose de nouvelles offres d’abonnements sur mobile uniquement, en phase avec les usages et pratiques de consommation dans ces pays. De manière plus générale, la firme a encore considérablement alourdi sa dette cette année pour pouvoir produire du contenu propre et compenser la réduction de son catalogue. La réflexion sur l’éventualité de placements de produits, bien qu’elle se soit soldée par un refus catégorique, laisse en outre présager que Netflix a plus à craindre de ses concurrents que ne voudrait le laisser croire Reed Hastings, co-fondateur de la plateforme, qui se veut rassurant dans son affirmation que celle-ci n’est pas nécessairement menacée par ces nouveaux entrants.

À l’image de la plateforme de VOD, les salons se doivent aujourd’hui de se poser des questions quant à leur modèle économique, lequel repose historiquement sur le tarif au m2 pour les exposants. La réflexion doit également se faire sur les cibles des événements, les attentes et les contraintes de ces dernières. L’heure est aux partis pris de forme comme de fond afin d’animer et structurer durablement les communautés concernées, elles-mêmes bien souvent confrontées à des transformations de taille (digitalisation des offres et des processus, enjeux environnementaux, économie servicielle, etc.).

S’émanciper de réflexions purement commerciales

Netflix et les salons peuvent au même titre être confrontés à la propension des audiences ou visiteurs à se diriger vers les contenus les plus rayonnants et fréquentés ou visionnés historiquement. Dans un salon, cela peut conduire à des phénomènes d’agglutinement et de saturation sur certaines animations, au détriment d’autres contenus et à la fluidité du parcours et de l’expérience, pour les visiteurs comme pour les exposants. La Paris Games Week se voit ainsi confrontée à ce défi, avec la désertion de certains espaces comme celui dédié aux Écoles et des Formations de la filière du jeu vidéo et des stands de certains acteurs pourtant leaders dans ce secteur. L’enjeu pour Netflix est, entre autres, de ne pas dépendre que de certains titres spécifiques qui pourraient venir à disparaître de la plateforme et, pour les salons, de certains exposants et contenus qui risqueraient de tomber en désuétude ou faire défaut à l’événement lors de la prochaine édition. L’agilité est aujourd’hui, plus que jamais, indispensable ; il ne s’agit plus seulement d’être en adéquation avec les besoins et désirs des exposants et des visiteurs, mais bien de se positionner conformément aux exigences actuelles et aux défis à venir de la filière concernée, de savoir anticiper, questionner et challenger sa communauté, pour devenir soi-même un agent de fédération et de transformation de cette filière.

Pour ce faire, il est bien sûr vital de connaître et cerner cette communauté ; et n’est-ce pas ce que Netflix cherche à accomplir en se rapprochant de ses marchés à l’échelle nationale ? Les salons doivent quant à eux réfléchir à des contenus potentiellement moins consensuels puisqu’ils seraient susceptibles d’entrer en conflit avec les conceptions que se font les acteurs de leur communauté, mais plus stimulants et en phase avec les enjeux contemporains. Il s’agit alors de convaincre ces acteurs de l’intérêt qu’ils peuvent avoir à se confronter à ces prises de parti, de la même manière que Netflix s’efforce de promouvoir des éléments de son catalogue moins concordants et plus ciblés.

À propos de l'auteur

Laetitia Pelletier

Laetitia Pelletier

Étudiante franco-brésilienne née au Japon, Laetitia s’intéresse de près à la création d’expériences client et utilisateur puissantes et uniques, que son master en marketing à Sciences Po Paris et son stage d’un an aux États-Unis lui ont permis d’appréhender. Elle est également sensible aux enjeux du développement durable et compte poursuivre son parcours dans des entités engagées dans cette transition. Passionnée de design et adepte des outils digitaux, elle s’est initiée de son propre chef au codage et au graphisme et a mis ces compétences au service de ses engagements associatifs et missions professionnelles.

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