Nous avons rencontré Laurent Le Bon, Président du Musée national Picasso-Paris, et directeur artistique de la 11ème édition de Nuit Blanche, une manifestation centrée sur l’exposition d’œuvres d’art dans l’espace public. Il a accepté de répondre à nos questions sur sa vision de l’esthétique appliquée à la culture, aux musées puis aux salons.
Pour commencer, quels sont les principaux devoirs du conservateur de musée que vous êtes ?
Le métier fondamental est bien évidemment de conserver la collection Picasso, celle de la nation, et qui est la plus grande au monde puisqu’elle est composée d’environ 6 000 œuvres et 200 000 pièces d’archives. Je veille également à la bonne gestion du musée, au sein duquel travaillent environ 200 personnes, si on compte les entreprises externalisées, et administre un budget de 15 millions d’euros. Mais le sens profond de notre métier reste de diffuser et de faire partager cet immense patrimoine. Le grand axe du métier de conservateur est d’exposer les oeuvres. Pour faire vivre un musée, il faut en permanence rester dans une logique de mouvement, pour rester attractif auprès du public continuer de l’intéresser, de le nourrir. Je m’intéresse à la diversité des possibles et il me parait important de pratiquer le décloisonnement, de penser l’art dans sa globalité et non en le divisant. C’est pourquoi vous pourrez m’apercevoir tantôt à un vernissage, tantôt dans un congrès ou encore à une manifestation contemporaine comme la Nuit Blanche.
Comment travaillez-vous l’aménagement de l’espace pour animer le parcours d’un visiteur et créer une cohérence d’ensemble ?
Pour ne pas tomber dans cette représentation de musée « tombeau », nous sommes dans une logique de perpétuelle dynamique. J’ai repris le mot d’un poète français, Francis Ponge, qui lorsque le centre Pompidou a été créé, l’a qualifié de « moviment », une contraction des mots « monument » et « mouvement ». Il insiste avec ce terme sur la nécessité de se renouveler et de rester créatif. Au Musée Picasso, nous avons par exemple pris le parti de ne proposer que des expositions temporaires, contrairement aux musées traditionnels qui mettent d’abord en avant leur collection permanente, cela pour apporter un renouvellement régulier.
Chaque exposition est une histoire, elle se raconte à travers un scénario qui s’incarne dans une scénographie
Cette volonté de créer le parcours le plus enthousiasmant possible nous amène à la question de l’aménagement de l’espace, qui est aussi vecteur de dynamisme. Chaque exposition est une histoire, elle se raconte à travers un scénario qui s’incarne dans une scénographie, d’où notre travail avec les architectes et les scénographes qui veillent à apporter du sens et de l’émotion, un peu à la manière du storytelling[1]. La cohérence nous est offerte par Picasso qui est un artiste pluridisciplinaire et n’a jamais cessé de créer ni de nous surprendre à travers ses multiples œuvres : peintures, gravures, dessins, sculptures, théâtre…
Quel est le rôle de l’esthétisme au sein du musée, et pourquoi est-ce important ?
Savoir mêler monde du savoir et monde du plaisir pour susciter l’intérêt des plus jeunes
L’esthétisme est évidemment au cœur de notre projet, le rôle des musées étant de faire rêver les gens et de questionner sur l’art : L’artiste nous interroge. C’est d’ailleurs l’un des challenges actuels des conservateurs de musée : savoir mêler monde du savoir et monde du plaisir pour susciter l’intérêt notamment des plus jeunes. Je veux leur montrer qu’il ne s’agit pas là d’un lieu d’ennui mais d’un lieu où on expose des artistes qui ont la volonté de changer le monde via leurs créations.
Marcel Duchamp, grand génie du siècle dernier, nous a appris que c’est le regard que l’on porte sur l’objet qui fait l’œuvre. Le musée n’est pas seulement un lieu d’exposition d’œuvres d’arts, c’est un lieu d’émotions où les visiteurs cherchent à vivre une expérience différente et, quelque part, unique. Je pense que c’est d’autant plus vrai pour le musée Picasso, puisqu’il s’agit d’un hôtel particulier du 17ème siècle, classé aux Monuments Historiques. Dans cette même logique, l’esthétisme et l’art ont aussi beaucoup à apporter au monde de l’événementiel en matière d’émotions et d’expériences du visiteur.
Selon vous, quelle est la place des salons dans le monde de la culture ?
Le mot salon était utilisé notamment au 18ème siècle pour décrire l’espace où étaient exposées les œuvres d’art qui venaient d’être créées. Loin de n’être qu’un lieu à usage commercial, le Salon s’inscrit donc, depuis ses origines, dans un cercle d’intérêt pour l’art et plus globalement la culture. Très moderne, au même titre que la Nuit Blanche, le Salon est une forme de création contemporaine. Dans un contexte d’évolution technique où nous sommes souvent pris dans une frénésie d’activité, un lieu de rencontres tel que celui-ci est un outil passionnant pour créer des moments de convivialité. C’est un outil d’avenir.
Selon vous, comment l’art doit-il être pensé au sein des salons et pourrait-il y avoir une forme de créativité supplémentaire ?
Je pense que les organisateurs d’événements doivent adopter une position artistique dès le début de la conception, et ne pas penser l’aménagement de l’espace comme superficiel. Même dans la plus petite décision de création d’un stand, on peut avoir un regard artistique, il faut donc apporter un soin particulier aux détails sans jamais tomber dans l’artificiel, le factice ni la copie. L’identité visuelle d’un événement exprime aussi sa particularité, l’art peut donc avoir une force structurante quand il s’intègre dans un vrai parti pris global.
L’identité visuelle d’un événement exprime aussi sa particularité
(1)Le storytelling est une méthode de communication qui consiste à transmettre les valeurs d’une marque à travers une histoire.