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L’économie de l’expérimentation fera-t-elle naître un nouvel âge d’or à l’événement ? – Volet 1

Vincent Larquet

Vincent Larquet

Enseignant-chercheur pour l’EM Normandie Business School

Sommaire

Volet 1 – « Expérimentation » : nouvelle économie, nouvelle opportunité événementielle ?

Quel est le lien entre les pains de glace présentés par la Compagnie des Glacières de la Seine (future société « Picard ») à l’Exposition Universelle de Paris de 1878(1) et les véhicules présentés par Renault au Mondial de l’Auto de 2016(2) ?

Ces deux produits ont été expérimentés en grandeur nature sur un événement. Le premier a été exposé en avant-première pour être testé auprès de millions de visiteurs, et procéder en même temps à la levée de fonds nécessaire à son déploiement et sa commercialisation. Les seconds, en étant exposés à l’usage de milliers de visiteurs sur 2 semaines, ont « subi » (ou « bénéficié») d’un cycle de vie complet, du moins sur un certain nombre de leurs composants (« 15 jours de salons équivaut à 7 ans de vieillissement »).

L’événement s’est longtemps immiscé dans les processus d’innovation de produits et services développés par les entreprises. Sans en avoir pris conscience collectivement, et encore moins su théoriser son potentiel exploitable, les designers d’événements auraient un immense intérêt à présenter scientifiquement l’objet événementiel en véritable plateforme d’innovation, et notamment d’expérimentation.

« Sans en avoir pris conscience collectivement, et encore moins su théoriser son potentiel exploitable, les designers d’événements auraient un immense intérêt à présenter scientifiquement l’objet événementiel en véritable plateforme d’innovation, notamment d’expérimentation. »

Sans que le concept soit nouveau, l’expérimentation de produits et services dans le cadre d’une démarche d’innovation engagée par une entreprise prend ces dernières années une toute autre ampleur pour se structurer en une économie à part entière.

Longtemps l’apanage des départements très fermés, voire hautement sécurisés, de R&D, cet esprit de l’expérimentation d’entreprise semble se diversifier et s’externaliser : pôles de compétitivité, incubateurs, open innovation, fab labs, living labs, espaces de co-working, pôles étudiants d’innovation et d’entrepreneuriat, autant de structures qui se multiplient … et avec elles, toute une économie qui émerge, composée de structures économiques propres ou économiquement en cours d’expérimentation elles-mêmes. L’une de leurs principales originalités réside dans le fait coopératif, coopération qui peut même amener plusieurs organisations parfois concurrentes à financer ensemble une R&D devenue collective. Une des explications de ce fait pourrait résider dans la multiplicité et le décloisonnement des disciplines nécessaires pour appréhender la complexité du monde et l’évolution des comportements.

Autre fait étonnant, ces structures externalisées d’innovation développent généralement toute une programmation de rencontres, qui en font de véritables lieux événementiels. Ainsi, Numa à Paris se présentait-t-il en 2016, 3 ans seulement après sa création, comme un cluster de start-ups, un espace de co-working, un slogan (« De la rencontre naît l’innovation »), et un programme de 1000 événements par an. A travers sa programmation thématique, sa mobilisation d’écosystème et ses dispositifs d’intelligence collective, Numa est un véritable lieu de rencontres événementielles.

Face aux bouleversements du monde à venir, « expérimenter » ne se résume plus à « tester de nouvelles idées ou solutions ». L’entreprise « expérimentante » requiert un état d’esprit particulier.

Se challenger en permanence : une démarche innovante d’entreprise n’a ni début ni fin ; elle est permanente.

Se recontextualiser dans les enjeux de société : il s’agit de replacer l’entreprise dans le contexte des grands enjeux de la société de demain. Cette démarche exploratoire, à la fois prospective et sociétale, a une double vertu. Elle ouvre de nouvelles perspectives de réflexion, en interrogeant la vision, voire la « mission » de l’entreprise. Et elle confronte par là-même toute idée de produit ou service à l’aune de son utilité sociétale et de son acceptabilité future par les citoyens. Il ne s’agit plus tant de saisir l’opportunité de marchés émergents ou de créer de nouveaux besoins de toute pièce, encore faut-il que l’idée novatrice et sa traduction en solution soit tout à la fois technologiquement faisable, économiquement viable, écologiquement vivable, socialement équitable, contractuellement éthique et sociétalement sensée. Expérimenter reviendrait donc à interroger le pourquoi avant le comment.

« L’entreprise « expérimentante » requiert un double état d’esprit : savoir se challenger en permanence et savoir se recontextualiser dans les enjeux de société. »

Dans ce contexte particulièrement complexe, l’événement peut constituer un instrument particulièrement performant pour l’entreprise « expérimentante ».

Le phénomène événementiel pourrait se définir comme la génération de rencontres extraordinaires d’un public dans un espace-temps donné par la mise en orchestration de quatre facteurs :

« En mettant des écosystèmes dans une dynamique d’intelligence, d’interaction, d’univers et de rythme de rencontres, l’événement devient cerveau qui comprend aujourd’hui et qui imagine demain. »

C’est la concomitance de ces quatre facteurs qui fait que l’événement devient cerveau, les rencontres agissant telles des synapses démultipliant les connexions neuronales de la foule participante. Un cerveau collectif qui essaie de comprendre la complexité du monde. Un cerveau collectif qui fait la synthèse de son état de l’art et de ses avancées. Un cerveau collectif qui imagine demain.

Un cerveau collectif qui se construit aussi dans le temps. Le phénomène événementiel dans sa puissance créatrice n’est pas éphémère. Il s’inscrit au contraire dans une durabilité. Dans son rituel de répétition(3), il peut être capable de faire évoluer, avancer, progresser la communauté qu’il anime, qu’il modèle et qu’il projette.

C’est ainsi que le designer de rencontres événementielles devient ensemblier d’un collectif pensant et agissant pour expérimenter des futurs incertains.

(1)Cf. Cycle de conférences sur les Expositions Universelles du XIXème siècle, par Marc Giget, Président de l’Institut Européen de Stratégies Créatives et d’Innovation : Les Expositions Universelles: creusets de la révolution scientifique, culturelle et industrielle de la Belle Epoque. 1851-1889.
(2)Cf. Articles de BFM TV à l’occasion du Mondial de l’Auto 2016 : Mondial 2016, que deviennent les voitures après le salon ? et Mondial 2016: quand deux semaines de salon équivalent à plusieurs années d’usure pour les voitures.
(3)Les événements peuvent être semestriels (salons de la mode), annuels (festivals de musique, compétitions sportives, ou encore le Festival de Cannes et son Marché du Film), biennaux (grands salons d’exception comme le Mondial, le Bourget ou les Antiquaires), quadriennaux (JO) voire quinquennaux (élections présidentielles).

À propos de l'auteur

Vincent Larquet

Vincent Larquet

Enseignant-chercheur pour l’EM Normandie Business School

Directeur du master “International Events Management” à l’EM Normandie, enseignant à Sciences Po et chercheur à Paris Saclay

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