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L’économie de l’expérimentation fera-t-elle naître un nouvel âge d’or à l’événement ? – Volet 2

Vincent Larquet

Vincent Larquet

Enseignant-chercheur pour l’EM Normandie Business School

Sommaire

Volet 2 – Expérimentation événementielle et puissance transformationnelle

L’événement est l’occasion de rencontres souvent insoupçonnées et inattendues. L’organisateur capable de designer les conditions de provocation de ces rencontres peut faire de l’événement un instrument d’une richesse inouïe de transition des écosystèmes par la créativité des publics devenus expérimentateurs de nouvelles solutions. Encore mieux, il peut faire de l’événement un objet d’expérimentation de soi.

En quoi les rencontres événementielles sont-elles extraordinaires ? Les rencontres provoquées par l’événement sont potentiellement de trois types : pertinentes, impertinentes ou inopinées :

Si les objectifs de rencontre poursuivis lors de la conception d’un événement ont été cloisonnés après l’ère des grandes expositions universelles, établissant ainsi une segmentation différenciant les motivations et formats de participation entre salons et foires à but commercial, congrès à but scientifique, compétitions sportives à but récréationnel, festivals et expositions artistiques à but culturel, événements corporate à but communicationnel … certains événements commencent à s’hybrider. En hybridant les objectifs de participation, ils hybrident les communautés qu’ils animent et par là-même les formats événementiels, à travers de nouvelles éditorialisations, programmations, spatialisations, fréquences, etc. Avec la puissance de digitalisation pré- et post-événement, et de phygitalisation des interactions pendant l’événement, le temps de participation s’étend, pour répondre non plus à un seul mais à plusieurs objectifs en même temps. Je ne vais plus uniquement à un salon pour faire des affaires, de la veille ou des partenariats, j’y vais également pour apprendre, m’inspirer, nouer des relations de confiance … et cela peut passer par des rencontres artistiques, sportives et scientifiques.

Ainsi hybridé, l’événement dépasserait ses seuls objectifs de rencontres pertinentes et impertinentes. En démultipliant les opportunités de rencontres inopinées, il renforce son potentiel de hasard créatif.

« En démultipliant les opportunités de rencontres inopinées, l’événement renforce sa puissance de hasard créatif. »

C2 Montréal

Replacé dans un objectif d’innovation, l’événement peut devenir un terrain stratégique et original d’expérimentation pour une entreprise. L’événement permet de passer du test ex-nihilo / in-vitro au test in-situ + in-vivo à toutes les étapes d’idéation, de conception, de développement, d’usage, d’adaptation et de fin de vie d’une solution. Plus puissantes encore sont ces expérimentations événementielles lorsqu’elles se font en confrontation directe avec l’usager final, encourageant l’entreprise à co-créer et co-construire ses solutions avec ses clients, voire les clients de ses clients. En observant le sujet se comporter face à l’objet, en le questionnant, en lui donnant la parole, en ouvrant le dialogue sur ses besoins, ses envies, voire ses idéaux, l’entreprise engage le client dans son aventure créatrice et teste l’utilité sociétale de bout en bout de la solution, en permanence réadaptée. L’événement permet ainsi de passer d’une démarche d’innovation en « solo » à une démarche d’expérimentation en « co ». Positionner l’événement en instrument stratégique au service des entreprises expérimentantes exige, de la part des designers de rencontres événementielles, des expertises poussées d’intelligence collective, de plus en plus indispensables pour envisager la complexité du monde.

Mais si l’événement est avant tout objet, instrument d’expérimentation au service du développement des entreprises, communautés d’acteurs et territoires, voire instrument sociétal de divertissement, d’inspiration, de culture, de débat et de socialisation, la puissance de certains d’entre eux nous interroge quant à la nature profonde de l’événement, non plus seulement objet, mais finalité : je participe à l’événement pour l’événement, en tant qu’objectif ultime.

« Demain, le participant sera l’événement et s’expérimentera grâce à lui. »

Burning Man

C’est notamment le cas de Burning Man, événement difficilement qualifiable dans son format, sorte de cité utopique éphémère, érigée de créations artistiques nées de collectifs mais inexorablement vouées à disparaître dans une mise en scène finale grandiose de fin du monde. Burning Man est avant tout une communauté de Burners extrêmement engagés autour d’un Codex en 10 règles et d’une organisation en 3 principes : créativité artistique, interaction permanente et part d’inattendu(1)Dans une interview de 2010 au journal l’Interview, la styliste Margherita Missoni a cette phrase pour décrire Burning Man : « the audience is the show » (les participants sont l’événement). Ils participent pour créer collectivement une esthétique collective. Mais l’événement va bien au-delà de sa seule puissance créative.

L’équipe organisatrice est depuis quelque temps capable de mesurer la puissance transformationnelle opérée chez ses participants. Ainsi en 2015, une étude auprès de la communauté des Burners a montré que près de 20% des participants étaient « absolument » convaincus avoir vécu une expérience transformative, que cette transformation psychologique pouvait être multiple (perception du monde, exploration / révélation de soi, ouverture à l’autre, valeurs éthiques, spiritualité) et qu’elle persistait pour plus de 85% d’entre eux(2). Pour eux, il y a un avant et un après événement. La motivation première des participants à Burning Man ne serait-elle pas l’événement lui-même, dans la puissance transformationnelle qu’il est intrinsèquement ? Burning Man, en tant qu’expérimentation de soi dans un futur possible, ne serait-il pas un objectif de vie ?

« L’expérimentation événementielle puiserait ainsi sa force dans la curiosité, la créativité et l’apprentissage … de l’altérité et de soi, qui font notre humanité. »

Burning Man

L’expérimentation événementielle puiserait ainsi sa force dans la curiosité, la créativité et l’apprentissage … de l’altérité et de soi, qui font notre Humanité. L’événement en tant que creuset exploratoire de l’individu et des foules pourrait ainsi retrouver l’universalité et la gloire de son âge d’or des grandes expositions du XIXème siècle.

(1) Cf. intervention de Marian Goodell au Congrès de l’événement 2016 de La Baule : 
(2) Cf. article “Researchers Share First Findings on Burners’ Transformative Experiences

À propos de l'auteur

Vincent Larquet

Vincent Larquet

Enseignant-chercheur pour l’EM Normandie Business School

Directeur du master “International Events Management” à l’EM Normandie, enseignant à Sciences Po et chercheur à Paris Saclay

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