Le pouvoir des mots au service d’une grande cause nationale
et pourquoi pas dans votre évènement ?
Le 27 avril dernier une initiative profondément originale a eu lieu sous la prestigieuse coupole de l’Institut de France. Dans la magnifique salle circulaire où siège habituellement la noble assemblée des Immortels, les Académiciens ont accueilli les 104 finalistes de la Grande Dictée du Sport. Un texte rédigé pour l’occasion par l’écrivain Erik Orsenna, membre de l’Académie Française, prix Goncourt 1988, a été lu par son auteur avec talent et un plaisir manifeste. Un moment de bonheur pour tous les participants. L’opération a témoigné de la possibilité et de l’intérêt de conjuguer culture, sport et événementiel. Voici donc une invitation à réfléchir au rôle central des mots et à la valorisation d’une grande cause national pour démultiplier la puissance des évènements et éclairer leur sens.
Chaque année, le Président de la République instaure une thématique spécifique comme Grande Cause Nationale. Pour 2024, son choix s’était porté sur « la promotion de l’activité physique et sportive ». Il s’agissait, en liaison avec la formidable opportunité que représentait l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris, d’encourager la population à adopter un mode de vie plus actif et à faire davantage de sport. L’initiative s’inscrit dans une vision holistique de la santé, considérant qu’un mode de vie actif est un vecteur essentiel de bien-être physique et mental. En outre, l’essor du sport à tous les niveaux a des effets positifs incontestables sur le tissu social, en favorisant l’apprentissage des règles, l’inclusion, la diversité et la solidarité au sein de la communauté nationale. La fraternité et l’enthousiasme générés par des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris emplis de beauté et de sens en ont été une illustration flagrante. En mobilisant des ressources et des partenariats, la Grande Cause Nationale s’est fixée pour objectif de laisser un héritage positif pour les générations futures. Un Délégué ministériel spécial Vincent Roger a été nommé pour concevoir et coordonner l’ensemble des opérations et la conduite de cette Cause. Il a été rattaché au ministère des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques.
La construction du programme de la Cause a très vite mis en relief l’intérêt de labeliser et de promouvoir une série de manifestations et d’évènements se déroulant sur le territoire. Parmi eux, la Grande Dictée du Sport a permis d’unir de façon percutante la passion de l’écriture et l’invitation au mouvement. Elle a eu un retentissement considérable. Le montage s’est fait en partenariat avec l’association La Dictée pour tous [lire ci-dessous l’interview de son fondateur et président Abdellah Boudour]. Depuis 2013, cette association organise des dictées géantes en collaboration avec des institutions, municipalités, lieux culturels, établissements scolaires. Depuis l’origine, plus de 650 dictées regroupant 83.500 participants ont été organisées. Ces manifestations, encouragées et parrainées par des personnalités (écrivains, artistes, sportifs, etc.), fédèrent la population autour de la langue française et constituent des occasions précieuses de rencontres et d’échanges1.
La Grande Dictée du Sport a d’abord pris la forme d’un tournoi en 25 étapes qui a eu lieu dans toutes les régions de France métropolitaine ainsi que dans des territoires d’outre-mer. Cette multiplication des dictées sur le territoire s’est avéré un dispositif éminemment ingénieux : l’organisateur a pu construire ainsi un réseau étoilé fonctionnant comme un outil de promotion novateur et rempli de sens, pour renvoyer ensuite sur la manifestation centrale. L’opération s’est déroulée avec le soutien du Crédit Mutuel et de Basic-Fit2, en partenariat avec France Universités3. A chaque étape, un texte emblématique de la littérature française évoquant le sport, était dicté par son auteur ou par une personnalité. La tournée a débuté le 20 janvier à l’Université Paris-8-Vincennes-Saint-Denis, avec la lecture d’un texte d’Émile Zola, par Yannick Caillet maire-adjoint en charge de la culture, du patrimoine et du dialogue social4. Ensuite, le dispositif a transité par des établissements d’enseignement supérieur à Marseille, Strasbourg, Le Mans, Saint-Denis de La Réunion, Lyon, Grenoble, Montpellier, Brest, Bordeaux, Toulouse, etc. A chaque fois, ce rendez-vous ouvert à tous à partir de l’âge de 10 ans, a eu un très gros succès. Au total plus de 20.000 participants furent réunis. A Paris, la ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques Amélie Oudéa Castera dicta un texte de Renaud Dély dans l’emblématique Grand Amphithéâtre de La Sorbonne, tandis que simultanément deux anciennes ministres chargées des Sports Roselyne Bachelot et Valérie Fourneyron officiaient à Angers et à Rouen. Partout les services des universités, en lien avec des bénévoles de l’association La Dictée pour Tous, ont proposé aux participants et au public des animations sportives, telles que du spikeball, du biathlon-laser ou encore du tir à la corde. L’objectif était de créer du lien social et des échanges, dans la bonne humeur, tout en faisant la promotion de l’activité physique. Habile conjugaison de la sociabilité, de la plume et du muscle. A l’issue de chaque épreuve régionale, un finaliste par catégorie (élèves du primaire, collégiens, lycéens et adultes) a été sélectionné afin de participer à la grande finale. Celle-ci a donc eu lieu sous la vénérable coupole de l’Institut de France. L’histoire ne dit pas si les Académiciens présents firent plus ou moins de fautes que les 104 sélectionnés. Mais au terme de cette ultime épreuve, des gagnants ont été désigné dans chacune des quatre catégories de la compétition. Ils ont remporté des récompenses sportives, parmi lesquelles un vélo de route pour les élèves du primaire et les collégiens, et un vélo d’intérieur pour les lycéens et les adultes (grâce au partenaire Basic-Fit), ainsi qu’un livre d’Erik Orsenna dédicacé par l’auteur. Ce dernier s’est déchaîné pour rédiger un texte inspiré et pour faire rire les participants lors de sa dictée. Humour et humanité étaient au rendez-vous5. Et comme à chaque étape les hôtes, participants et invités, ont eu droit à une pause sportive joyeuse mais soutenue animée par des étudiants en STAPS.
Pourquoi ne pas se laisser inspirer par un tel dispositif original ? Installer un agencement de ce type à l’intérieur d’un évènement plus global, présente de multiples avantages. Il s’agit d’une animation insolite, ludique et fédératrice. Elle a un aspect totalement transgénérationnel. On peut faire passer des messages dans le contenu même de la dictée. Des partenaires peuvent être associés au dispositif. Une personnalité fière de lire un texte, que ce soit le sien ou celui d’un autre, pourra ainsi se sentir mobilisée. Une dimension culturelle s’introduira, non seulement dans des manifestations centrées autour du livre ou de l’éducation, mais plus généralement dans tout type d’évènement. La culture se déploie ainsi efficacement au service de la vitalité évènementielle.
Texte rédigé et lu par Erik Orsena, Académicien, mais aussi amateur de sport, notamment de voile et de golf, faisant vivre le parcours d’un marathonien :
Ça y est ! C’est parti ! Vive la Vie ! Le soleil chauffe mais pas trop. Les oiseaux gazouillent même si moins que Beyoncé. Cela dit, j’aurais jamais dû faire ce métier. Courir, c’est trop dur ! Et plus c’est long, plus c’est dur. Puisqu’elle nous entend, la Ministre, j’en profite pour lui dire. Quarante kilomètres, c’est trop. Essayez une fois, pour voir. Comparé au marathon, votre tennis, c’est peinard ! Même si pour le moment, miracle, je n’ai pas encore été lâché. Tends l’oreille ! Écoute les battements de ton cœur.
Oh la la ! Je commence à suffoquer ! Et je n’en suis encore qu’à mi-chemin du parcours. Madame la Ministre, puisqu’en ce moment même vous êtes chez les Grecs pour allumer la flamme, dites-leur sur tous les tons, bouzoukis, guitares et contrebasses, que quarante-deux kilomètres entre Athènes et Marathon, c’est pas une raison. D’accord pour commémorer une victoire ! Mais sans assassiner l’athlète ! Nous ne sommes pas des gazelles, ni des zèbres. J’ai le mollet droit qui me cuit et ma rate se dilate. Me voici blafard ! Ça vaut toujours mieux qu’un eczéma.
Et maintenant, hardi petit, voici que se présente le mur des trente kilomètres, c’est là qu’on distingue le caïd du Mickey. Du cran, Gontran ! Bravo ! Mystère de comment mais tu l’as franchi, le fameux mur. Et maintenant, j’ai la berlue ou quoi ? Le panneau des quarante ! Mais aïe aïe, ça s’emballe dans le thorax ! Trop de guigne, tachycardie ! Tout doux, palpitant, pas le moment de te taper l’infarctus. Mine de rien, prendre mon pouls. Ça s’apaise ! Ouf ma dulcinée m’attend, la foule en délire et l’hymne national ! Et une médaille d’or, une pour Bibi, comme aimait à le dire le très cher Alphonse Daudet. Je hais ex æquo. Idem pour vous ?
Interview d’Abdellah Boudour, fondateur et président de La Dictée pour tous
L’Innovatoire : Comment vous est venue l’idée de créer la Dictée pour tous ?
Abdellah Boudour : Depuis l’âge de 16 ans, j’organise des évènements dans mon quartier à Argenteuil dans le Val-d’Oise : des tournois de foot, des sorties pour les jeunes, des maraudes pour les sans-abris, des distributions de cadeaux à Noël. Mon but a toujours été de valoriser le district et de réunir les habitants. A la fin 2012, j’ai organisé une grande distribution de fournitures scolaires au pied de l’immeuble où j’ai grandi. Quelques jours plus tard, alors que je me baladais, des mamans m’ont interpelé en me parlant de l’utilité d’une action autour de l’orthographe. Cela correspond donc à une demande des habitants : ce sont les mamans qui m’ont inspiré. Au départ, je pensais qu’il n’y aurait pas grand monde. Mais j’ai sous-estimé mon quartier. Lors de la première, nous avions prévu 50 chaises, nous nous sommes retrouvés à 250 participants. Et cela a très vite pris de l’ampleur.
L’Innovatoire : Comment le succès s’est-il matérialisé ?
D’emblée je m’étais dit qu’il ne fallait pas mettre des notes aux copies. Donc, nous les avons réparties en plusieurs catégories : élèves du primaires, collégiens, lycéens et adultes. Et nous avons mis en relief les copies comportant le moins de fautes. Au début, nous utilisions des textes classiques, mais nous nous sommes rapidement retrouvés avec des amoureux de la littérature française qui les connaissaient par cœur. Nous avons donc fait appel à Sonia Salhi, une écrivaine et professeure de français à Marseille, pour rédiger des textes inédits avec des mots rares et des pièges. La première personnalité qui nous a pris au sérieux est Bernard Pivot. Je lui ai présenté le concept en septembre 2014. Il a tout de suite mesuré l’impact que cela pouvait avoir, et il a accepté de mettre son image à contribution. Cela nous a beaucoup aidé.
Aujourd’hui nous sommes accueillis partout, aussi bien par des municipalités, des bibliothèques, des librairies. Nous avons même pénétré dans le monde des prisons. Je ne m’attendais pas à un tel engouement. Dans une société qui a tendance à se diviser, la dictée réunit. Les mots ont des répercussions positives et apaisantes. Aujourd’hui, nous sommes rodés, et nous parvenons même à déléguer une partie de l’organisation, ce qui est à mes yeux un signe de réussite. Il est possible de faire des dictées sur de multiples thématiques et de valoriser ainsi le patrimoine culturel ou même des grandes causes nationales ou internationales. Nous avons fait des dictées en Belgique, en Italie, au Cameroun, au Maroc, à la Réunion, à Mayotte. On m’a conféré le statut d’ambassadeur de la francophonie ce qui constitue pour moi une grande fierté. Le New York Times a consacré un article à la Dictée pour tous6.
Qu’a représenté pour vous la réussite de la Grande Dictée du Sport ?
Nous avions déjà eu accès à des lieux historiques pour organiser certaines de nos Dictées : l’Assemblée nationale, le Sénat, le Palais de l’Élysée, l’Arc de triomphe, la Tour Eiffel, le château de Versailles. Mais l’Institut de France est quasi impossible à décrocher. Et pourtant nous avons réussi. Pour soutenir la belle Grande Cause Nationale 2024, soit la promotion de l’activité physique et sportive, Xavier Darcos Chancelier de l’Institut de France a accepté de nous accueillir, et Erik Orsenna nous a écrit un texte pour la circonstance.
Quels sont vos projets aujourd’hui ?
Du point de vue de l’organisation, il y a toujours des choses à améliorer. Je me bats encore pour décrocher des beaux lieux et des partenariats. Et certaines causes me tiennent particulièrement à cœur, comme la lutte contre le harcèlement scolaire. Je veux tuer le silence, en utilisant les mots à travers la Dictée.
- https://dicteepourtous.fr/ ↩︎
- Basic-Fit est une franchise de salles de fitness originellement néerlandaise : Cf. https://www.basic-fit.com/fr-fr/home ↩︎
- Cf. https://franceuniversites.fr/actualite/france-universites-partenaire-de-la-grande-dictee-du-sport/ ↩︎
- Un petit film témoigne bien de l’engouement et du brassage social suscités par l’évènement :
Cf. https://www.youtube.com/watch?v=TgMiXJJ5lmk ↩︎ - https://www.info.gouv.fr/actualite/humour-et-humanite-pour-la-finale-de-la-grande-dictee-du-sport ↩︎
- https://www.nytimes.com/2016/05/12/world/europe/in-paris-suburbs-adopting-a-dreaded-school-test-as-a-tool-of-integration.html ↩︎