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Des interactions augmentées

Daphné BÉDINADÉ

Daphné BÉDINADÉ

Anthropologue

Sommaire

Nous avons tendance à supposer que l’adoption en masse des réseaux sociaux comme moyen de communication a comblé l’espace disponible pour toute forme de sociabilité dans nos sociétés, que le virtuel a tout simplement remplacé l’utilité du réel. Et si la mise en opposition entre réseau social virtuel et physique n’était pas fondée ? Et si aujourd’hui le réel ne se soustrayait pas au virtuel, mais au contraire venait en combler les défaillances ?

Les communautés 3.0 : des émotions exagérées…

Le digital a profondément transformé nos manières et formes de communiquer et ainsi nos façons d’appartenir ou de se revendiquer d’une communauté, ou de communautés, se voient reconfigurées. S’il permet la consolidation de réseaux déjà existants, il donne également des ressources pour former des collectifs qui ne pourraient naître autrement. Les réseaux sociaux en ligne répondent au besoin de certains individus de trouver un espace, un lieu (symbolique) où il leur est possible de partager des valeurs, des liens de loyauté avec d’autres pairs mais aussi d’être visible et d’exister pour le reste du monde. Il suffit ici de voir le nombre de groupes sur Facebook créés autour de la Japan Expo (Free Camping devant la Japan expo, Amoureux de la Japan expo c’est ICI) : des groupes où on partage, on vibre, on s’exclame, on like… mais où l’on s’expose aussi : aux critiques directes, à l’indifférence, aux commentaires dubitatifs de son propre entourage.

… Pour une communauté 1.0 bienveillante et décomplexée !

Quelle que soit l’importance des communautés en ligne qu’il nous aura été possible d’observer, le besoin de se rencontrer physiquement n’est pas substituable. Le rendez-vous physique entre membres d’une communauté reste central, nous avons pu le constater lors de la Japan Expo qui, pour ses visiteurs, est un espace où l’on peut être  « vraiment soi-même », où l’on peut échapper aux assignations identitaires et aux jugements subis dans l’espace public et virtuel et être accepté pour ce que l’on est. Les manifestations de cette aise sont remarquables à travers les pratiques de cosplaying et de travestissement notamment, qui sont des formes de présentation de soi vécues comme totalement affranchies de contrôle social. L’événement est, en outre, une occasion de « sortir des réseaux sociaux », de témoigner ouvertement de son émotion, de se retrouver entre pairs, en offrant ou acceptant par exemple des « free hugs ». La Japan Expo devient ainsi plus un lieu de bienveillance qu’un lieu où l’on vient chercher de l’information, des tendances    ou des produits.

« Quelle que soit l’importance des communautés en ligne qu’il nous aura été possible d’observer, le besoin de se rencontrer physiquement n’est pas substituable. »

Il est décrit comme un lieu où il y a « de la place pour tout le monde » et s’inscrit dans la continuité des espaces virtuels qui se caractérisent par de nombreux encouragements collectifs, par des démonstrations d’émotions (par le biais d’émoticons et par le discours) ainsi que par le même esprit bon enfant.

Le salon au centre de la mutation : de l’organisation à la spontanéité

Ce que l’on saisit des recompositions de l’univers du salon au travers de l’étude des communautés est que celles-ci sont à la recherche d’une expérience qui soit la plus « authentique » possible. Ainsi, c’est moins la matérialité du salon en soi (dans sa forme autant que dans son contenu) qui importe, mais bien la série d’effets que le processus dans son ensemble produit sur les acteurs. La centralité de l’événement se déplace de l’objet salon vers ses effets et vers les interactions qu’entretiennent les visiteurs au sein de celui-ci. Il apparaît que les visiteurs ne peuvent continuer d’être de simples spectateurs mais doivent devenir des acteurs du salon et y participer de manière totale. La force de la Japan Expo réside principalement dans cette participation, dans le fait que l’événement n’est pas un événement destiné à une communauté mais un événement pour soi, pour la communauté, où les organisateurs font partie intégrante de celle-ci.

Réfléchir à l’avenir de l’univers des salons suppose ainsi de déconstruire les frontières traditionnelles qui s’y sont imposées. De l’objet à l’expérience, du matériel à l’immatériel, d’un salon pour une cible à un salon par tous et pour tous, de l’information à la bienveillance, du contrôle à la spontanéité… les repères du salon mutent. La plus grande mutation réside surtout dans le total lâcher-prise des organisateurs dans la réussite du salon. Ce sont les participants qui, de par la bienveillance mutuelle trouvée, leur expérience collective vécue, les interactions multipliées et la spontanéité individuelle permise font le succès. Organisateurs, participants… et si dans ce monde poreux la frontière entre ces deux groupes devait elle aussi être repensée ? Et si le succès résidait dans la co-création de salons, dans la co-conception de scénographie ou de la programmation ?

La communauté virtuelle vient augmenter le réel… êtes-vous prêts ?

À propos de l'auteur

Daphné BÉDINADÉ

Daphné BÉDINADÉ

Anthropologue

Formée en anthropologie sociale, elle s’emploie à utiliser les méthodes et outils des sciences sociales afin de saisir les problématiques culturelles des entreprises et contribuer à la production d’enquêtes et études.

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