En direct du Salon du film de Cannes, nous rencontrons Clémence, travaillant dans l’exportation de films sur les marchés asiatiques et latino-américains, à la rencontre de ses distributeurs locaux. Cannes est un des 8 salons internationaux où elle se rend chaque année. Un rythme d’enfer, un marathon de rendez-vous sur une semaine… L’occasion avec nous de prendre du recul sur la place du salon dans son métier et sa vision du salon de demain.
Pourquoi es-tu présente à cannes ? comment définirais-tu le salon par rapport à ton métier ?
Le salon est la représentation physique du concept du marché : pour l’industrie du film, de fait, on ne parle pas de salon, mais de « marché ». La particularité de nos marchés est qu’ils sont souvent rattachés à un festival : c’est le bras commercial, le reflet commercial du festival. En parallèle des paillettes et du tapis rouge, ils sont le point de rencontre en face à face avec nos clients. C’est l’aboutissement d’échanges de mails très longs qui durent des mois et le début parfois de relations long-termes car ce sont des acheteurs que je vais retrouver marchés après marchés.
Le marché est une sorte de compression : il limite l’espace en concentrant les acteurs dispersés dans le monde entier en un point donné… Sans le marché, je serais toute l’année en déplacement pour rencontrer les acheteurs, sans avoir le temps de faire avancer mes dossiers. Enfin, c’est un espace où le temps s’accélère, où les opportunités sont plus faciles. Mais il y a une telle offre de services et d’opportunités que c’est dur de cibler !
Il y a en fait une sorte de fomo sur le salon, une fear of missing opportunities ! À tes yeux, qu’est ce qui caractérise les marchés du film comparés aux autres salons ?
C’est la pluralité des marchés : certains sont hyper cadrés comme Cannes (au vue du nombre de personnes présentes, des transactions réalisées et des contraintes actuelles de sécurité) et d’autres sont plus free-styles (étant de petite plateforme de transactions). Ils laissent alors plus d’espace à la rencontre, aux interactions et la convivialité se crée d’elle-même. Par exemple, en mars j’étais au salon organisé à Miami, par Unifrance sur 3 jours dans un super hôtel : il réunissait une dizaine d’agents de vente français et une trentaine d’acheteurs latino-américains. Le format était très intimiste, créant des contacts ultra-privilégiés. En comparaison, Cannes est une véritable fourmilière située sous le palais du festival qui amène un côtoiement ininterrompu, laisse place à des rencontres improvisées…
Pour retrouver une intimité avec nos acheteurs et les accueillir dans les meilleures conditions, nous avons développé une stratégie différente : une stratégie de contournement du Marché. Nous louons un appartement ou une suite où ils peuvent regarder les trailers, où les rdv se font dans des gros canapés, sans la chaleur et le bruit… Cannes est en fait un marché étalé dans l’espace.
Dans l’univers du cinéma, nous avons un rapport différent au business. Dans l’audiovisuel, au Mipcom par exemple, il y a beaucoup plus d’hôtesses, plus de budgets dédiés à des opérations de communication visant à être le plus visible (via des goodies, des dress-code, des hommes sandwich à l’effigie de la nouvelle série…), les vendeurs sont plus décomplexés. Il y a un rapport différent au business et à l’achat car le rapport à l’objet est différent. Dans les marchés du film, il y a une volonté d’être moins dans la démonstration, moins show-off.
Quel serait le futur du marché à tes yeux ?
QUEL SERAIT LE FUTUR DU MARCHÉ À TES YEUX ?
On pourrait bien sûr imaginer un marché digitalisé, via une sorte de plateforme en ligne où les acheteurs regarderaient les films, feraient des offres. Mais cela ne se passera jamais comme cela : le facteur humain est trop important. Le cadre du marché physique est en fait le révélateur de tout l’intérêt du métier : il rend possible la rencontre, les interactions d’hommes à hommes, il est le véhicule de la passion. Cette passion, il faut la transmettre, il faut dégager une énergie qui va intriguer l’acheteur. Pour les grosses structures, le marché physique va permettre de développer des stratégies de persuasion (par le regard, les mots…). Pour les indépendants, il va être le véhicule de la passion, de convictions…
« Il rend possible la rencontre, les interactions d’hommes à hommes, il est le véhicule de la passion. »
Dans les deux cas, pour les gros comme les petits, la rencontre entre humains reste primordiale. Le futur est à mes yeux de permette aux vendeurs et acheteurs de se concentrer sur l’essentiel, de limiter au maximum les irritants. Les applications ne sont pas toujours très adaptées, on a du mal à trouver les informations. Il faudrait un whatsapp spécial marché, une appli en mode « happn » où l’on pourrait se géolocaliser : savoir où mes acheteurs se situent, les retrouver et éviter les confusions. Lors du marché du British Film Institute à Londres (le BFI), tous les rendez-vous étaient préorganisés par les organisateurs en speed dating… cela pourrait faire partie de l’offre proposée par les organisateurs dans tous nos salons pour simplifier au maximum le séjour des participants ?