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Les expériences immersives pour penser le futur

Charlotte-Amélie Veaux

Charlotte-Amélie Veaux

Co-fondatrice d’Onyo

Sommaire

Lorsque nous pensons au futur, nous affichons rarement un sourire radieux. Les optimistes à propos du monde qui sera le nôtre dans les cinquante prochaines années sont de plus en plus rares. Nous avons pourtant le pouvoir de changer les choses pour penser notre futur et créer les conditions d’un avenir meilleur. Et des expériences immersives s’y attèlent déjà !

Pour résoudre des problèmes plus complexes que jamais, il semble inévitable d’accélérer les collaborations. Entre designers, artistes et scientifiques et entrepreneurs pour croiser les regards, les expertises et engager un mouvement. Dans un premier temps, il s’agit principalement d’accélérer les prises de conscience des différents acteurs qui composent la société (états, citoyens, organisations) pour organiser massivement la prise d’action. Parce qu’elles engagent des publics à des niveaux cognitifs, émotionnels et sensoriels rarement atteint, les expériences immersives sont un outil avec lequel nous pouvons compter.

(Re) penser nos imaginaires

Avant de panser le futur, encore faut-il le penser. Or, penser un futur optimiste est déjà un exercice complexe ! Cyril Dion nous partageait, lors de la soirée de lancement de la Fabrique des Récits le 5 mars dernier, ce verbatim

Comment peut-on créer un futur souhaitable si nous n’arrivons même pas à l’imaginer ?

Cyril dion – le 5 mars dernier au lancement de la fabrique des récits, paris

Le design fiction, aussi nommé design speculatif, design critique ou encore design pour débattre, permet de questionner le présent en proposant des visions alternatives du futur. Un moyen de sortir des cadres dominants de la pensée pour voir et imaginer autre chose.

Les designers Anthony Dunne et Fiona Raby utilisent cette approche « qu’en spéculant davantage, à tous les niveaux de la société, et en explorant des scénarios alternatifs, la réalité deviendra plus malléable, et bien que l’avenir ne puisse être prédit, nous pouvons aider à mettre en place aujourd’hui des facteurs qui augmenteront la probabilité que des futurs plus souhaitables se produisent »(1).

Par exemple la création de Patricia Piccinini, The Young Family, expose un futur fait de créatures transgéniques. Sans aucune indication, à nous de nous faire notre propre idée là-dessus…

Il ne s’agit plus de faire preuve de créativité pour concevoir des objets qui seront produits en masse pour une utilisation quotidienne et pratique. Cela relève de la création d’objets, des scénarios, des situations qui dérangent, interpellent et poussent à la réflexion. Ils créent un nouvel espace propice à l’émergence de nouveaux imaginaires.

Au-delà d’agir sur nos imaginaires. Il nous faut repenser les approches pour toucher du doigt ces imaginaires.

(Re)penser l’expérience de l’imaginaire

Au-delà des objets conçus par des designers, des créations plus contemporaines, nous propulsent directement dans des univers qui requestionnent le monde des futurs souhaitables. En créant des installations plus immersives, au-delà de la représentation d’un objet artistique, les designers partagent cette volonté de nous mettre en mouvement. L’installation Mitigation of Shock, conçue par le studio Superflux, nous immerge dans un appartement en 2050. Le changement climatique est à l’œuvre et a transformé notre lieu de vie en lieu de production essentiel pour survivre.

Selon les créateurs, ce format place « le visiteur face à face – directement, émotionnellement, intellectuellement – avec l’avenir de l’instabilité climatique, de l’insécurité alimentaire, de la fragilité économique et politique, et de la fragmentation sociale ».

Il est nécessaire d’adopter des approches plus engageantes, qui nous font vivre le futur, qui nous le font expérimenter, pour mieux s’y projeter.

A Rennes, l’installation immersive Solastalgia d’Antoine Viviani et Pierre-Alain Giraud plonge les participants dans un futur lointain : les humains ont disparu de la Terre. Il ne restent que des enregistrements des derniers humains, retranscrits sous forme d’hologrammes. Les participants, en groupe de 6, se baladent, munis de casques de réalité augmentée, dans un décor apocalyptique pour tenter d’apercevoir ces fantômes numériques pendant 30 minutes.

L’expérience nous rapproche d’une situation qui parait bien lointaine : la sixième extinction de masse et la disparition de notre civilisation. On y vit la phase post-civilisation humaine. Antoine Viviani déclarait dans une interview avec le CNC :

J’imaginais vraiment, depuis le début, une exploration extraterrestre de la terre, comme si on revenait dans un temps tellement lointain qu’on ne se rend compte qu’à la fin qu’on est dans le futur

Antoine viviani

L’installation devient un outil de médiation en soi. Il n’y pas de leçon, mais uniquement des interprétations possibles, orientées sur le sensible.

Comment réagir face à une telle expérience ? Que devrait-on ressentir : de la colère ? Une forme d’anxiété ? De l’angoisse ? On explore ici des émotions profondes, face à des situation parfois impensées ou du moins rarement vécues. Elles renforcent notre volonté d’action pour ou contre l’imaginaire qui nous est proposé. Il existe une volonté de pouvoir créer des moments mémorables pour aider les participants à ne pas s’arrêter à l’expérience, mais à aller plus loin une fois l’expérience finie. Le designer Luke Sturgeon, nous partageait il y a quelques temps sa volonté de “chercher au contraire à ce que mes créations restent dans la tête des visiteurs, qu’ils repartent avec beaucoup de questions !”

Ces expériences immersives créent en réalité de nouveaux espaces de discussions avec des imaginaires. Et après ? Après il faut agir, et c’est finalement la partie la plus importante. Penser le monde d’après, agir aujourd’hui, pour vivre demain.

(Re)penser nos modes d’action des imaginaires

D’une part, il faut réussir à attirer tous les publics, y compris ceux qui ne se sentent pas écoutés, entendus ou concernés via des méthodes inclusives. D’autre part, il est nécessaire d’accompagner les publics dans la prise d’action pour comprendre ce que l’on peut faire à son échelle ; en tant qu’organisation, pouvoir public ou citoyen.

L’expérience immersive du National Geographic, Ocean : Encounter Odyssey, nous avait surpris à New York l’an dernier. La première partie est très sensible ravira les familles. La seconde partie nous donnait des clés pour sauver l’océan à l’aide de dispositifs interactifs et de jeux. Dans la même idée, l’escape game Gaïactica arrive aujourd’hui à réunir grand public, des scolaires et des entreprises pour parler du dérèglement climatique.

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La semaine dernière nous animions un atelier pour imaginer de nouveaux concepts immersifs. Est venu l’idée de créer un parcours immersif pour incarner un éco-ninja. Accompagné d’un senseï – un maître – nous sauvons des environnements en crise : disparition des forêts, fonte des glaces, etc. Preuve que la narration peut être un puissant vecteur pour pousser à des actions concrètes sur les territoires !

Et parfois ce sont même des chercheurs qui prennent des virages immersifs. Les expériences immersives deviennent alors un outil de sensibilisation et d’analyse pour concevoir les solutions souhaitables de demain.

Aux Etats-Unis Les chercheurs Mickael Skirpan, Jacqueline Cameron et Tom Yeh ont conçu une pièce de théâtre immersive : Quantified-Self. qu’ils décrivent dans leur article « More Than a Show: Using Personalized Immersive Theater to Educate and Engage the Public in Technology Ethics ».

Ces chercheurs s’intéressent à l’éthique des données personnelles. Ils notent un problème de taille quand on adresse un tel sujet : on reste dans un entre-soi. Les discussions n’intéressent que les experts. Les utilisateurs des services numériques, bien plus nombreux, sont absents. Or ils seront les premiers impactés par les décisions prises par ces recommandations.

Mickael Skirpan, Jacqueline Cameron et Tom Yeh ont vus dans la création d’une pièce de théâtre immersive un moyen de toucher une large audience et de créer un cadre propice à une étude de terrain, pour nourrir leur réflexion et prendre des décisions plus éclairées…

Les expériences immersives ont un rôle à jouer à divers niveaux pour panser le monde de demain. Du décideur au chercheur, c’est un outil qui pourrait être mis au service d’un futur plus souhaitable. C’est en tout cas un nouveau terrain d’expression qui peut nous reconnecter à nos aspirations.

Publié en juillet 2020 sur le blog Uxmmersive (actuellement en pause), créé par Charlotte-Amélie Veaux et  Yann Garreau (aujourd’hui fondateur de Onyo : le monde inouï).

À propos de l'auteur

Charlotte-Amélie Veaux

Charlotte-Amélie Veaux

Co-fondatrice d’Onyo

Charlotte-Amélie est co-fondatrice du studio Onyo. Après 3 ans dans le conseil en open innovation, elle a réalisé avec Yann Garreau un tour du monde des expériences immersives. Elle a partagé ses découvertes et interviews sur un blog toujours accessible, UXmmersive (lien : https://uxmmersive.com ). Puis en 2021 ils fondent le studio Onyo, pour créer des expériences immersives sans écran pour proposer des temps de reconnexion qui ont du sens lors d’évènements.

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