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Evénementialiser la relation digitale et repenser sa stratégie de marque : les institutions culturelles sont riches d’enseignements !

Patricia Friedrich

Patricia Friedrich

Chef de projet international chez MUSEVA

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Musées, châteaux, monuments, théâtres, opéras, salles des cinémas, … Depuis plus d’un an, la pandémie a mis à l’arrêt les lieux culturels accueillant du public en France. Contrairement aux idées reçues d’un secteur jugé « non-essentiel », la culture est pourtant l’un des secteurs les plus dynamiques en Europe dont le surplus économique en 2017 égalait celui du secteur agro-alimentaire(1). Leur fermeture a eu un impact considérable autant sur le plan économique (c’est le deuxième secteur le plus affecté par la crise)(2) que sur le plan social.

Au même titre que le secteur de l’événementiel, le secteur culturel a dû s’adapter aux contraintes sanitaires puis se confronter à la fermeture des établissements entrainant, comme pour beaucoup d’autres secteurs, le basculement de son activité « en ligne ».

Considéré non seulement comme lieu de divertissement, d’apprentissage voire même de recueillement ou de « bien-être »(3)leur réouverture, tant attendue, débutera progressivement à partir du 19 mai. Depuis le début de la pandémie et durant ces longs mois de fermeture, la culture à continuer d’être au cœur de nos vies. Les sorties culturelles ont alors été remplacées par des nouvelles expériences en ligne – une multitude d’institutions ont su mettre à disposition du contenu pour nous divertir, nous faire apprendre, nous évader… Ces institutions ont, avant tout, montré leur capacité d’adaptation afin de maintenir le lien avec les publics, et peuvent constituer de belles sources d’inspiration pour d’autres industries comme l’événementiel dont les réflexions ont des similitudes.

De nouveaux usages, de nouveaux publics – La virtualité recrée du lien

L’activité en ligne s’est concentrée sur les ressources en ligne (déjà présente pour la plupart des institutions culturelles) : les collections en lignes, les expositions virtuelles, les podcasts ou bien les MOOC. Fort de son succès, le Louvre avait notamment enregistré 8,4 millions de visites sur le site web, entre mars et avril 2020(4).

Le Centre Pompidou, ayant lancé son nouveau site internet en novembre 2020, a su intégrer cette évolution des usages en ligne. Avant la crise, les visiteurs consultaient principalement le site pour préparer leur venue au musée. Aujourd’hui, ils viennent découvrir du contenu et des nouvelles offres. Le Centre Pompidou a notamment intégré un magazine en ligne ainsi qu’une médiathèque de ses expositions et podcasts, accessible en replay(5).

Leur plateforme de communication principale sont les réseaux sociaux attirant souvent un public plus jeune en recherche de divertissement. Parmi les initiatives à succès sur Instagram, le Getty Museum Challenge (défi à se grimer en œuvre d’art) a fait le tour du monde. En gamifiant la relation digitale et en l’humanisant, l’engagement de communautés et la résonance digitale ont été au rendez-vous.

Plusieurs musées ont également pris l’initiative de proposer des visites guidées à distance, accessibles en ligne et adaptées à différents types de public (famille, entreprises, scolaires etc). Les contenus se professionnalisent et certaines institutions commencent à monétiser leurs offres de visite guidée à distance pour la première fois – la Cité de l’architecture (juin 2020) ou la Fondation Louis Vuitton (décembre 2020).

Mais les initiatives ne s’arrêtent pas là. Avec l’impossibilité d’accueillir des spectateurs en salle, l’Opéra national de Paris a lancé le 13 décembre la plateforme « l’Opéra chez soi » afin de valoriser leurs productions audiovisuelles, en accès gratuit et payant. En deux mois, la plateforme compte plus de 400 000 visites et génère un lot important d’achats(6).

Selon une étude de Gece(7), les concerts en direct ou en replay sont les propositions les plus attirantes (41%) suivis par les visites virtuelles des expositions (14%). L’étude a également montré que 15% des Français seraient prêts à payer pour ces visites de musées ou de patrimoine virtuelles.

Capitaliser sur leur contenu et se transformer en média, faire évoluer la fonctionnalité de leurs outils, événementialiser la relation digitale, construire des offres freemium et premium… autant d’initiatives menées par ces institutions culturelles qui peuvent inspirer les lieux et organisateurs d’événements.

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Les musées et le déploiement de leurs marques

Ce basculement vers l’activité en ligne a également accéléré le développement de l’e-commerce, qui a su attirer de nouveaux clients grâce à une activité plus poussée sur les réseaux sociaux et la possibilité d’atteindre des marchés internationaux.

Dans le Quotidien de l’Art, Laure de Carayon, fondatrice et présidente de China Connect(8) (think thank européen sur le digital chinois) explique : « Alors qu’en Occident la priorité était donnée à la stratégie de marque comme vecteur de notoriété indépendamment des débouchés commerciaux, la crise a montré que la désirabilité d’une marque va désormais de pair avec le développement d’un canal de vente. » Le public chinois, présentant une grande partie du visitorat des grands sites touristiques parisiens tels que le Louvre et le château de Versailles, est une cible identifiée depuis plusieurs années. Le musée du Louvre a ainsi noué un partenariat avec Alibaba pour y vendre des produits dérivés en collaboration avec des marques chinoises.

Depuis 2019, le musée adopte une stratégie plus offensive dans le déploiement de sa marque. Les collaborations se multiplient : DS Automobiles, Uniqlo, Swatch, Maison Sarah Lavoine, ou la porcelaine Bernardaud… La tendance du « co-branding » se déploie dans le monde de la culture, même si pour le moment, elle reste principalement réservée aux grands musées.

Pourtant, il existe déjà des exemples d’institutions en dehors de la capitale qui cherchent à établir des partenariats avec les entreprises.

Avant la crise, le MuCEM à Marseille cherchait à collaborer avec des entreprises locales afin de renforcer le lien avec leurs communautés. Le musée accueille deux fois par an des boutiques éphémères qui font écho aux collections et aux expositions temporaires et s’intègre dans le parcours de visite. Cette stratégie, visant à renforcer les ressources du musée, est un moyen de communication important et permet de créer un lien privilégié avec les entreprises de la région.

La stratégie de marque, considérée avant tout comme un sujet commercial, peut s’avérer être crucial dans la politique culturelle d’une institution. Pour le Château de Chambord : « Il s’agit d’une part de défendre le patrimoine immatériel de Chambord, son nom, son image, d’autre part d’exploiter ce patrimoine, en créant des produits dérivés à partir des richesses naturelles du domaine … » explique Cécilie de Saint Venant, directrice de la communication, de la marque et du mécénat. Depuis plusieurs années, Chambord mène un combat juridique sisyphéen auprès d’entreprises qui utilisent leur marque sans autorisation et sans rapport avec le monument lui-même.

Avec l’objectif de diversifier leurs recettes propres et élargir leur réseau de distribution, quelques grands musées développent cette stratégie pour pallier le manque de financement. Avec la crise sanitaire et économique, cette politique sera amenée à se développer davantage dans les années à venir.

Ce phénomène de co-branding est riche d’enseignement pour les entreprises du monde de l’événementiel car il fait émerger des sujets fondamentaux : quelles sont mes valeurs de marque ? Avec qui puis-je m’associer pour développer de nouvelles activités et comment l’affirmation de ma marque impulsera in fine de nouvelles recettes commerciales possibles ?

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(1) https://www.franceculture.fr/societe/quel-est-limpact-du-covid-19-sur-leconomie-culturelle-et-creative-en-europe
(2) https://www.franceculture.fr/societe/quel-est-limpact-du-covid-19-sur-leconomie-culturelle-et-creative-en-europe
(3)  https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/10/22/quand-la-science-prouve-que-l-art-fait-du-bien_6056952_3246.html
(4) https://culture.newstank.fr/fr/tour/news/182214/musee-louvre-8-4-millions-visites-site-internet-12-03-21-04-2020.html
(5) http://www.club-innovation-culture.fr/itv-agnes-benayer-centre-pompidou-mars-2021/
(6) https://www.letemps.ch/culture/une-scene-lyrique-salon
(7) https://www.gece.fr/wp-content/uploads/2020/07/200703_Note-Synth%C3%A8se_pratiques_culturelles.pdf
(8) https://www.lequotidiendelart.com/articles/18959-la-crise-acc%C3%A9l%C3%A9rateur-de-m%C3%A9tamorphose-des-boutiques-de-mus%C3%A9es.html.

À propos de l'auteur

Patricia Friedrich

Patricia Friedrich

Chef de projet international chez MUSEVA

Depuis juin 2019, Patricia Friedrich est cheffe de projet de MUSEVA (Le rendez-vous international des privatisations des institutions culturelles) et chargée du développement international du salon SITEM (Salon professionnel des musées, lieux de culture et de tourisme), appartenant à la société Museumexperts, fondée par Jean François Grünfeld.

Patricia Friedrich est diplômée en histoire de l’art de l’Université de Vienne en Autriche et en muséologie à l’École du Louvre de Paris. Ses expériences professionnelles au sein de différentes institutions (notamment la Fondation Le Corbusier, le Ministère de la Culture ou auprès du directeur artistique Jérôme Sans), lui ont permis d’acquérir des compétences riches et variées dans le milieu de l’art et la culture.

Depuis janvier 2021, la société Museumexperts SAS a été racheté par le fonds d’investissement culturel ArtNova et appartient désormais au groupe Beaux Art & Cie, le groupe leader de la presse et des services dans le domaine culturel. En dehors des salons MUSEVA et SITEM, Beaux Arts & Cie organise The Art Market Day, le rendez-vous annuel des professionnels du marché de l’art en Europe.

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